Van Gogh débarquant à Los Angeles, mariage improbable il y a quelques années, qui pourtant, aprés l'ouverture du Getty Center sur les collines d'Hollywood, semble enfoncer le clou de la nouvelle identité culturelle de la ville, au grand dam du pseudo-élitiste San Francisco dont l'aura culturel n'a pas dépassé les vitrines d'échoppes d'artistes patchoulis.
Aprés Washington, LA a donc bénéficié de l'unique passage au nouveau monde de cette expo intinérante empruntant au musée d'Amsterdam son patrimoine, le temps d'une rénovation. Et c'est avec impatience que j'attendais cette visite comme un pèlerinage, ayant toujours affectionné sa représentation tortueuse du monde où j'ai grandi (Arles, Saintes-Maries de la Mer, Saint-Remy-de-Provence).
L'exposition se divise en cinq parties, chacune d'entre elles, représentée par des oeuvres majeures ou moins connues.
La première couvre ses débuts hollandais, fin des années 1880 et décrit principalement la dure vie paysanne comme en témoignent Les Mangeurs de Patates, Tête de Femme, Tête d'Homme, Cottage ou son Squelette fumant la Cigarette. Le peintre renforce cette dureté en donnant à ses personnages des visages rugueux et diformes représentant la difficulté du labeur, mais aussi en utilisant des couleurs sombres, usées.
Deux ans et une salle plus tard, on arrive dans les couleurs pastels de son époque parisienne, sa Paire de chaussures servant de transition à ce nouveau style. Ses représentations légères et bluettes de paysages anodins, influencées par la rencontre de Gauguin et des impressionistes, dénotent del'état paisible de l'artiste comme une sorte de renaissance. Ainsi aux Jardins de Légumes du Moulin de la Butte Montmartre, Restaurant de Clichy, Bords de Seine, Toits de Paris, Natures Mortes et Autoportraits, s'ajoute son influence japonaise avec Le Courtisan. On remarquera de plus l'arrivée de certains démons avec La chauve-souris, ou son Verre d'Absynthe et Carafe d'Eau qui contraste avec l'innocence de l'enfant qui joue dehors, derrière la fenêtre du bar.
Un an plus tard arrive Arles et sa palette de bleu, jaune, rouge témoignant de la chaleur humaine et météo enfin retrouvée. La Moisson (sûrement mon favori) semble ainsi montrer un itinéraire d'étapes bleues (personnage-façades-montagnes-ciel), comme une évasion amenant un bonheur certain. Cette impression s'amplifie avec La Chambre où les reliefs de sa peinture prennent corps (d'où la nécessité de la voir en vrai). En effet, le relief du tableau au dessus de son oreiller symbolise une porte de sortie vers un autre monde, la peinture, sa seule réalité, le monde où il devient vivant au contraire de la chambre uniforme. D'autres comme La Maison Jaune, ou Les Bateaux de Pêche des Saintes-Maries par leur juxtaposition de diforme et classique, confirment un certain trouble entre réalité et un autre monde (époque de crises).
En 89, il passe à Saint-Remy-de-Provence où il se remet de son traumatisme avec quelques cicatrices comme on le voit dans son Champ de Blé au Coupeur symbole d'une mort prédatrice. On pourra aussi se pencher sur sa version du Pieta de Delacroix empreinte d'une crucifixion certaine, et d'autres vues de l'asile où il séjourna.
Enfin 1890, dernier arrêt à Auvers-sur-Oise, dont Le champ de Blé aux corbeaux nous présente un chemin tortueux en proie aux oiseaux de mauvaise augure, qui contredit La Moisson par son absence d'horizon salutaire. Bien que certains le démentent, il est difficile de ne pas y voir la symbolique du chemin de sa vie et sa fin prochaine.
Passons maintenant au cirque Van Gogh.
Une question se pose: qu'est-ce qui était le plus énervant, le merchandising outrancier ou les visiteurs vulgaires?
Ces derniers l'emportent haut-la-main. Si les posters, cartes, parapluies, mugs, magnets, boites et j'en passe étalaient tout l'attirail d'une machine à profit, ce fut largement éclipsé par la torture des visiteurs.
En effet, bien que le matin ne soit pas l'heure d'affluence, ce fut un vrai parcours du combattant pour pouvoir contempler un tableau.
Une fois poussé le gros plein de soupe en short et chemise à fleurs, il fallait se débarasser des mégères collant littéralement leur nez sur le tableau. Quelques phrases claironées du style "c'est amusant comme le rouge de sa chemise ne va pas avec les couleurs du tableau" furent d'un effet certain. On remarqua aussi la présence de quelques spécialistes de l'encadrement passant la plupart de leur temps à inspecter le dos des tableaux. Enfin, les "experts" ou les "amateurs", tous fiers de faire profiter la salle de leur savoir ou impression inestimable, et qui vous font l'honneur d'un bétisier de "perles" van goghiennes:
A propos d'un autoportrait: "Il ressemble à Kirk Douglas"
Comparaison entre un autoportrait stylisé et achevé: "Il a l'air si différent"
A propos d'un paysage: "C'est si impressioniste"
A propos d'un paysage: "Le ciel est vraiment bleu"
A propos du Zouave: "On dirait Guy Bedos"
A propos d'un paysage d'Arles: "Je veux louer une voiture à Entreprise, aller à Arles et faire du cheval"
A propos du Squelette fumant la Cigarette: "Déjà à l'époque, le message était que la cigarette tue!"
Van Gogh: Van Goghs
Los Angeles County Museum of Art
17 Janvier–16 Mai 1999