Fantômas
Fantômas
L’anecdote veut que Mike Patton ait enregistré seul un démo de son nouveau projet (sur lequel il jouait tous les instruments) et qu’il ait envoyé cette bande à son guitariste, son bassiste et son batteur favoris (respectivement Buzz Osborne des Melvins, Trevor Dunn de Mr.Bungle et Dave Lombardo de Slayer). Ceux-ci lui auraient chacun répondu, par retour de courrier d’un nouvel enregistrement illustrant la vision qu’ils avaient de l’utilisation de leurs instruments au sein du projet. Peu importe si cette histoire tournant autour de la naissance de Fantômas et de son premier album (éponyme) soit véridique ou non, une chose est évidente à l’écoute de l’album, la signature de Patton. Ce dernier met à profit sur cet album ses expérimentations de Adult Themes for Voice et son expérience à la production de ses deux albums solos. Mais ces deux albums étaient très axés sur l’expérimentation, leur conférant l’aspect de musique en construction, alors que Fantômas s’impose comme une œuvre préméditée et terminée. Possible que la participation à l’écriture des autres membres du groupe y soit pour quelque chose, reste que l’on reconnaît aisément la griffe de Patton : à la production, bien sûr, mais aussi à l’écriture et à la thématique-concept de l’album (les pièces-pages rappellent les recettes de Pranzo Oltranzista et les chambres d’hôtel de Adult Themes for Voice).
À la base, le projet est intéressant et ambitieux : faire l’adaptation musicale (ou l’écriture en musique) d’une B.D. de Fantômas dans laquelle chaque pièce illustre une page contenant un certain nombre de cases. Contrairement au Spillane de John Zorn (un portrait musical de l’auteur Mickey Spillane et de son œuvre), les éléments narratifs sont peu nombreux (quelques cris et coups de feu, des bruits de pas, la sirène d’un véhicule d’urgence...) et plutôt épars si l’on fait exception de la Page 4 [11 frames] (qui sert en quelque sorte d’élément déclencheur, rappelant à l’auditeur que c’est bel et bien une aventure de Fantômas qu’il écoute - aventure qui ne présente pas comme telle de linéarité, si l’auditeur souhaite un récit, il doit l’imaginer entièrement, les quelques éléments narratifs pouvant servir de piste à cette diégèse imaginée).
Aucun texte n’accompagne cette illustration musicale ; ni narration, ni texte chanté. La voix de Patton est strictement utilisée comme instrument - Fantômas, c’est quatre instruments qui travaillent ensemble et qui se répondent (par exemple, la Page 23 [17 frames] dans laquelle les instruments se talonnent dans un espèce de duel rythmique). Chacun des instrumentistes maîtrise brillamment son instrument et ne se gêne pas pour essayer des trucs, pour pousser la recherche sonore afin de doter Fantômas d’un son audacieux et original. Il faut y jeter une oreille, mais pas celle qui est sensible (ce qui n’est pas étonnant, vu le bagage des musiciens impliqués).
Ce style très libre (et un peu braque) aurait aisément pu être perçu comme improvisé, ce qui n’est pas du tout le cas. Fantômas laisse plutôt l’impression d’un album hyper-calculé, quasi-mathématique. La virtuosité des musiciens leur permet de s’imposer des arrêts ou des changements de direction au huitième de seconde qui ne cessent de surprendre. Le résultat s’inscrit très bien dans la postmodernité, mélangeant les médiums (musique, B.D., une certaine narrativité cinématographique...) et les styles (heavy, ambiant, des passages plus expérimentaux...).
L’album est sous étiquette Ipecac Recordings, nouveau bébé de Mike Patton et Greg Werckman.
Sebastian Sipat
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