Scénario : Raymond Depardon
Durée : 1:45
Pays : France
Année : 2004
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Avec 10ème chambre - instants d'audience, Raymond Depardon achève en quelque sorte le travail qu'il avait entamé dix ans auparavant avec Délits Flagrants. Dans ce documentaire Depardon s'était intéressait sur l'itinéraire procédural des personnes arrêtées en flagrant délit de leur arrivée au dépôt jusqu'à l'entretien avec l'avocat. Pour son nouveau film, le documentariste français a réussi à obtenir une autorisation exceptionnelle pour tourner dans la 10ème chambre du Tribunal Correctionnel de Paris. Normalement les enregistrements des procès à caractère historique ne sont autorisés qu'à condition qu'ils soient diffusés au moins vingt ans après l'audience. Il s'agit d'une première.
Depardon plonge donc le spectateur en terrain inconnu. Il nous présente douze cas. Douze cas qui sont aussi douze vies. On y rencontre des gens issus de milieux sociaux très différents les uns des autres : un sociologue, une peintre ou un chômeur. Les affaires traitées couvrent également un large éventail allant de la conduite en état d'ivresse jusqu'au vol en passant par le harcèlement téléphonique ou encore le port d'arme illicite. Ce sont des affaires de droit pénal général c'est-à-dire le travail quotidien de la justice, les cas mineurs. Malgré tout on est frappé par l'émotion que peut susciter un tel événement dans une vie, se retrouver face à un juge pour avoir commis, un jour, une infraction (mais certains ont quand même des antécédents). Souvent les jugés ont du mal à trouver les mots justes pour expliquer ne serait-ce que ce pour quoi ils ont été arrêtés. Les échanges sont souvent pauvres, voire pathétique si bien que parfois on ne peut s'empêcher de rire avec une légère crispation. D'autres fois on rit mais c'est de bon cœur. Puis, l'instant d'après, on est énervés par l'attitude de la juge, un peu hautaine vis-à-vis de certains. Ce qui ne l'empêchera pas par la suite, par exemple, de donner quelques conseils à un sans-papier en lui disant à quelles associations aller pour qu'il soit en règle.
Néanmoins ces relations mettent en avant un point particulier : l'étrangeté d'un monde. Car s'il y a si les échanges sont maladroits entre justice et civils c'est bien parce que le cadre dans lequel se déroule cet événement est étranger, avec ses codes, son langage (que ce soit en français ou en latin), l'enchaînement des étapes notamment entre l'audience et la délibération souvent très longues en fonction du nombre de cas examinés dans la journée (une délibération aura même lieu vers les 2h30 du matin environs). Cette raideur dans la procédure va se retrouver dans la mise en scène de Depardon. En fait il a fallu qu'il place avant chaque début de séance deux caméras dans la salle d'audience, une sur le juge, puis une autre sur le prévenu. Le champ et le contre-champ. L'austérité incarnée. Il ressort de là une dimension implacable de la justice. Parfois même jugée injuste comme le fait savoir un prévenu au moment de sa condamnation.
Mais ce champ et ce contre-champ vont alors trouver une toute autre signification. La place du juge se trouvant légèrement en hauteur, on a une caméra qui filme en contre-plongée tandis que la caméra qui filme les prévenus est à hauteur d'homme. Se dégage alors de là une relation de pouvoir qui met les jugés en position d'infériorité, là où Depardon a décidé de se placer, comme s'il voulait prendre leur défense. Tout ce dispositif ne vient que renforcer la l'écart de ces deux mondes que montre le film. Le temps consacré aux jugements n'est pas celui des Assises ou des grosses affaires judiciaires. C'est le travail rapide et quotidien de la justice. Ce peu de temps attribué à ces micro-drames est comme le révélateur d'une fracture sociale au sein d'un pays, d'une société incapable de répondre à ce genre de problème. Il nous concerne tous.
Au terme de la projection de nombreuses questions viennent à l'esprit du spectateur. Les motifs de condamnations se valent-ils tous ? Les sentences sont-elles justes ? Quid de l'humain au milieu de ce cadre déshumanisant ? Ces interrogations amèneront probablement Raymond Depardon à tourner une suite qui, espérons-le, sera aussi remarquable que ce documentaire-ci.