Avec : Rocco Siffredi, Amira Casar, Alexandre Belin Scénario : Catherine Breillat Durée : 1:17 Pays : France Année : 2004 Site Officiel : Anatomie de l'Enfer

Catherine Breillat porte à l'écran son roman Pornocratie (2001) et ressasse ad nauseam ses thèmes fétiches : la discordance fondamentale entre sexes opposés et le dégoût suscité par le corps féminin.

A travers la confrontation trouble et brutale entre une femme blessée (Amira Casar, très belle) et un homosexuel (Rocco Siffredi, laborieux), Breillat tend à illustrer la phrase de Baudelaire selon laquelle « il y a, dans l'acte d'amour, une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale ».

Partant de là, la réalisatrice dissèque jusqu'à l'écoeurement l'anatomie féminine, brandit et exhibe ce sexe complaisamment, le rendant aussi peu désirable pour le spectateur que pour l'homosexuel, payé pour regarder la femme « là où elle n'est pas regardable » (vraiment ? Et Courbet dans tout ça ?). C'est là un premier point d'achoppement.

Breillat rappelle constamment au spectateur que lui aussi a payé pour voir. Dès lors, la réalisatrice cherche à susciter le scandale, à grand renfort de scènes extrêmes, au comique involontaire. Mais l'entreprise est si simpliste qu'elle échoue. Catherine Breillat n'a pas les qualités artistiques de ses ambitions. Pourtant, la réalisatrice/romancière, auto intronisée « artiste contemporaine », s'applique scrupuleusement à composer des cadres léchés, dans un souci constant de picturalité. Comme dans ses précédents longs métrages, les couleurs et tenues de ses personnages symbolisent un état intérieur. Le tourment du héros trouve sa matérialisation dans la mer démontée qui lèche les flancs de la falaise, motif qui renvoie à l'imagerie romantique. De même, un plaid vert laisse la place à un couvre-lit rouge, inaugurant « un cycle du sang » ou la période menstruelle de l'héroïne. C'est l'occasion pour Breillat d'asséner des poncifs relatifs à l'impureté de la femme. Et de pousser sa démonstration jusqu'à son point de non retour : la connaissance de l'essence de la femme passe uniquement par son sexe, ouvert, scruté, fouillé, pénétré. Postulat réducteur et dégradant tant pour le personnage de la femme que pour celui du gay, forcément humilié à l'issue de ce bras de fer charnel.

Breillat n'aime pas ses acteurs, on le sait. Rocco Siffredi ânonne un texte très littéraire, de toute évidence appris phonétiquement, suant sang et eau à chaque syllabe. Le parti pris de l'artificialité aurait trouvé son épanouissement si le texte romanesque, littéralement transposé, ne donnait lieu à des dialogues si boursouflés. Et comme si cette logorrhée ne suffisait pas, Breillat elle-même prend le relais, à travers une voix off redondante. Cette pseudo implication de la réalisatrice interroge. Quelle serait finalement la vraie prise de risque pour Breillat, si ce n'est avoir le courage de se mettre en scène elle-même ? Ce cinéma du ressentiment, qu'elle nous impose depuis le début de sa carrière, est assommant, comme le ton péremptoire qui accompagne ses considérations sur les rapports homme/femme.

Anatomie de L'Enfer se voudrait un huis clos sulfureux ou l'équivalent cinématographique de La Philosophie dans le Boudoir du Marquis de Sade que la réalisatrice a lu, tout comme Bataille. Mais au final, le film se résume à un épate bourgeois.

Si l'on demandait à Catherine Breillat pourquoi elle a cru bon réaliser ce film aussi absurde que la tentative de suicide de son héroïne, peut-être répondrait-elle comme cette dernière : « parce que je suis une femme ! ».

  Sandrine Marques