Avec : Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain, José Garcia, Marilyne Canto
Scénario : Benoît Graffin David Léotard
Durée : 1:50
Pays : France
Année : 2003
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Après Vous, comédie douce amère remarquablement écrite et interprétée, confirme tout le bien que l'on pensait du cinéaste Pierre Salvadori, dont l'univers tendre et désespéré ne manque pas de séduction.
Et l'on reprend ici des nouvelles d'Antoine… En effet, les personnages principaux masculins s'appellent tous Antoine chez Salvadori. Plus que d'un gimmick de la part du cinéaste, cette caractéristique patronymique vise plutôt à renforcer l'identification chez le spectateur. Voir un film de Salvadori, c'est comme s'enquérir du sort d'amis qu'on aurait quelque peu perdus de vue. Dotés d'un fort capital sympathie, les personnages chez Salvadori se débattent dans un marasme existentiel où leur incomplétude affleure au grand jour : cœur et moral en berne, ils avancent dans la vie, boitillant mais imposant leur revigorante authenticité.
Ici donc, Antoine (Daniel Auteuil) travaille dans un grand restaurant. Apprécié pour son professionnalisme qui confine au dévouement, il est un modèle d'équilibre. Mais dès les premiers plans, une faille apparaît : Antoine semble préférer l'effervescence des cuisines à sa compagne qui l'attend depuis une heure au restaurant. Doute confirmé par la suite ! Antoine mène ce que l'on appelle communément « une vie sans histoire ».
Manque précisément à son existence ronronnante cette matière romanesque qui va lui être fournie par la rencontre inopinée avec Louis (José Garcia, à son apogée), un suicidaire attachant (et heureusement détaché à temps !).
Le beau titre polysémique du film figure bien cette rencontre improbable. « Après vous » est tout à la fois une formule de politesse, celle-là même dont peut user couramment Antoine, le maître d'hôtel, dans son travail. Mais cette expression renvoie aussi à la finitude. Politesse et mort réunies dans un même mouvement, c'est là l'essence même du cinéma de Salvadori, tout entier contenu dans cette célèbre citation selon laquelle « le rire est la politesse du désespoir ».
Pour Antoine qui travaille dans la restauration, croiser un type qui manque à ce point d'appétit de vivre ne peut que lui donner l'envie de se transcender. Il l'héberge, lui trouve un travail (désopilante scène d'entretien d'embauche), retrouve la femme qui lui a brisé le cœur et s'enfonce peu à peu dans le mensonge et les quiproquos.
Cette trame narrative n'est pas sans évoquer Les Apprentis, film de la dépression, qui reposait par ailleurs également sur un superbe duo d'acteurs (Depardieu/Cluzet) et avec lequel Après Vous entretient de nombreuses similitudes. De la même façon que Guillaume Depardieu se mettait en quête de la femme qui avait chamboulé le cœur et la tête de son ami, Daniel Auteuil retrouve Blanche (Sandrine Kiberlain), une jeune fleuriste…très fleur bleue ! Chez Salavadori, l'empathie préside aux relations entre les personnages. Plus Louis remonte la pente, plus Antoine s'embourbe ! Comble de ce processus empathique, Antoine s'éprend tout naturellement de Blanche.
L'histoire se joue dans des lieux récurrents, apparentés à l'univers dramatique. La boutique de fleurs se présente comme le petit théâtre de l'amour ou un théâtre d'objets. Salvadori touche à la grâce avec la très poétique scène du profil de papier qui se superpose à l'ombre chinoise, formée par le visage de son actrice magnifiée (nul doute que Salvadori aime ses acteurs !). Si les fleurs célèbrent les sentiments, elles ornent aussi les tombes ! Salvadori a choisi à dessein son décor, fidèle à son récit en demi-teinte. Des plantes vertes deviennent ici des agents dramatiques à part entière, dévoilant à l'héroïne la tromperie dont elle est victime. De même, le plus anodin des objets un briquet qui circule entre les personnages sert de révélateur. Sa simple matérialisation fait éclater la vérité au grand jour.
Le restaurant Thaï constitue un autre lieu clé du récit. Les intrigues s'y nouent et s'y dénouent, trouvent leur résolution (un ultime tête à tête amoureux clôt le film). De même, le restaurant Chez Jean, figure la scène sociale et la cave, dans laquelle officie Louis, apprenti sommelier, les coulisses où ce dernier répète son rôle avant son entrée sur la grande scène du monde. Si Louis s'avère piètre acteur dans un premier temps, se contentant d'ânonner le texte écrit par Antoine, il s'autorise par la suite des improvisations éclatantes, témoignages de sa désormais parfaite maîtrise du jeu social.
Après Vous est tout à la fois un film sur le deuil et un récit d'apprentissage. Jean Eustache disait que le cinéma apprenait à vivre. Démonstration est faîte avec les films de Pierre Salvadori.