" Be with me " : injonction, supplique, invite et sortilège.
" Etre ensemble ", par delà le langage et les faux semblants. Parce que nous échouons à traduire complètement ce que notre âme ressent et que la pensée, comme le prétendait Bergson, demeure " incommensurable au langage ".
Etre ensemble et déborder les filtres qui empêchent de voir, d'entendre : téléphones portables, mail, SMS, "appels en absence" qui surlignent précisément l'absence. Communiquer : relation intransitive, phagocytée par les écrans qui bouchent la vue. Le langage achoppe à trop être langage. Comment se trouver dans une société du flux, hantée par son cauchemar technologique ?
Tous ces questionnements latents impriment au film d'Eric Khoo sa languide violence. Be with me décline quatre histoires d'amour et de solitude, récits enchâssés qui mettent en scène, une relation chaotique entre deux collégiennes, les amours frustrées d'un obèse, le deuil impossible d'un épicier, hanté par le fantôme de son épouse et la vie de l'exemplaire Theresa Chan, femme courageuse, sourde et aveugle, qui côtoie ces personnages de fiction, leur insuffle son incroyable générosité et son désir de vivre.
Du fond de sa nuit, Theresa apprend aux héros qu'aimer passe avant tout par le don de soi. De loin en loin, d'écrans en écrans, les mots ne rencontrent que solitude. Seule Theresa Chan connaît intensément le langage des choses muettes, lesquelles trouvent leur propre voie, ce chemin secret qui mène à l'autre. La nourriture, tout comme dans le magnifique roman Kitchen de Banana Yoshimoto, permet l'inattendu rapprochement avec l'être aimé, celui qu'on connaît avant les mots.
Dans une séquence éblouissante de beauté, Eric Khoo donne à entendre la vie intérieure de Theresa Chan. On la regarde cuisiner, évoluer dans son appartement, tandis que des sous-titres égrènent ses pensées et souvenirs. Séquence muette, troublée par les tintements métalliques des casseroles. Le silence offre la connivence. Et la bouleversante étreinte finale, sur laquelle se referme l'un des plus beaux films de cette année, consacre un autre niveau de langage : celui du corps et de l'âme, dans un même mouvement.