Avec : Maya Sansa, Luigi Lo Cascio, Pier Giorgio Giovanni Calcagno
Scénario : Marco Bellocchio
Titre Original : Buongiorno, notte
Durée : 1:45
Pays : Italie
Année : 2003
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Buongiorno, notte de Marco Bellochio commence étrangement. La première séquence du film nous montre un agent immobilier en train de faire visiter un appartement à un jeune couple dont nous ne savons encore rien pour le moment. Au cours de la visite, le compagnon laisse sa femme avec l'agent immobilier. Un plan montre alors d'une part le jeune homme en train de faire de grands pas dans une pièce très sombre comme s'il en prenait les mesures, puis d'autre part dans une pièce éclairée par la lumière incandescente du soleil sa compagne écoutant avec attention l'agent vanter les mérites du jardin. La dichotomie de l'espace semble indiquer qu'il y a là des choses que le spectateur ne connaît pas encore, un secret que le compagnon, évoqué ici, cache.
C'est ainsi que le récit va peu à peu se dérouler. On voit alors débarquer deux autres hommes dans l'appartement. On comprend que le couple l'a finalement acheté. Toujours aussi elliptique, Bellochio fait se succéder les scènes de manière lapidaire rendant par là même toute la force au film. Rien d'original dans le sens où une fois de plus le metteur en scène italien nous parle d'un sujet assez fort. Les deux hommes venant s'ajouter au couple composent en fait les Brigades Rouges, groupuscule d'extrême gauche réputé pour sa violence, refusant le compromis historique établi entre le parti de la Démocratie Chrétienne dirigé par Aldo Moro et le Parti Communiste italien. Nous sommes à Rome en 1978 et les Brigades Rouges décident d'enlever Aldo Moro, puis de le séquestrer dans l'appartement. Le film va épouser le point de vue de la femme du groupe, la seule, prénommée Chiara. A travers ses yeux nous voyons se dessiner l'univers complexe des « années de plomb ». Complexe car sa vie va être chamboulée. Sa foi absolue dans la révolution l'emprisonne dans les rituels de la clandestinité. Sa fonction au sein du groupe est simple : elle fait la cuisine, lave le linge et bien d' autres activités domestiques. A côté de cela elle mène une vie au grand jour, un quotidien ordinaire dans un bureau. L'alternance entre ces deux vies devient dur à gérer pour elle d'autant plus qu'elle va entrer en conflit avec les membres du groupe. Elle va avoir de plus en plus de mal à accepter la séquestration d'Aldo Moro.
Marco Bellochio va s'attacher à l'imaginaire de cette femme, seule alternative possible à la réalité qu'elle affronte chaque jour, aux désillusions qu'elle va rencontrer dans sa vie de militante. Souvent la caméra s'arrête sur son regard noir et profond, comme pour sonder sa conscience, ses peurs. On assiste alors à des séquences où elle se met à rêver, où elle imagine d'autres issues possibles sur le sort d'Aldo Moro, où ce dernier parvient à s'échapper.
Le réalisateur italien à travers l'histoire d'Aldo Moro et de ses ravisseurs raconte l'échec d'une génération, de son utopie extrême et violente. On ne peut rester insensible devant les propos tenus par le leader du groupe quand il dit que l'on doit être prêt à tuer sa mère pour des idées. Bellochio n'émet aucun jugement mais semble toutefois pointer du doigt l'impasse devant laquelle ces hommes sont. La violence n'arrangera rien. C'est ce que Chiara leur dit car selon elle au contraire on se mettra l'opinion publique à dos.
On peut donc parler d'aveuglement, d'entêtement, presque de folie, amenant inexorablement le groupe à sa propre perte. L'action du film se passe essentiellement dans l'appartement. Marco Bellochio construit son espace comme clos duquel il n'y aurait aucune échappatoire possible. Il faut voir ici le double sens que comporte cet aspect : Aldo Moro est emprisonné de la même manière que les membres des Brigades Rouges le sont. Si chez Aldo Moro l'enfermement est matériel, chez les Brigades Rouges il est métaphorique. Ces derniers sont enfermés dans leur propre idéologie, comme s'ils étaient en prison, ne sachant plus distinguer le bon du mauvais. Bellochio vient renforcer cet effet par l'obscurité qui ronge l'appartement diminuant toujours un peu plus l'espace des pièces.
Buongiorno, notte confirme une fois de plus l'intérêt que Bellochio porte à la société italienne, que ce soit dans le passé ou le présent, avec ses personnages dont les certitudes semblent constamment remises en cause. Le Sourire de ma mère, son précédent long-métrage, soulevait de nombreux problèmes sur les liens qui existaient entre politique et religion. Par le regard qu'il porte sur ses congénères, par les thèmes qu'il véhicule et par les préoccupations qui le stimulent Marco Bellochio rappelle le cinéma de Francesco Rosi.