critique de Camping Sauvage
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Surprenant et âpre premier film, Camping Sauvage fait preuve de hardiesse lorsqu'il s'évertue à dématérialiser l'enjeu même de son intrigue - peu d'explications, de logique ou de cohésion des scènes - pour se complaire dans le fatalisme. La gageure de la réalisation étant d'invoquer une sorte de détumescence létale pour se départir de la chape sordide ou obscène du fait-divers. Ainsi, seul importe le climax malsain oscillant doucement avec les clapotis d'une eau omniprésente, entre banalité naïve et étrangeté effacée. Les turpitudes des deux marginaux sont rendues par le recours massif au gros plan et au grand angle, désarçonnant un spectateur immédiatement jeté dans l'arène. Nous sommes pris à la gorge à l'instar des personnages par une caméra chevillée à leurs corps, les transformant au gré d'une spirale indolente en bêtes rétives et oppressées. Et lorsque l'objectif tangue sous le poids des regards Camille ne peut plus se raccrocher qu'à un seul élément : le corps incertain de Blaise. Si à l'occasion de l'échappée de l'enceinte du village de toile, le couple s'arroge pour quelques instants la mise en scène, les mutations des modalités stylistiques (image numérique et confessionnal ou déconnexion de l'image et du son pour une danse macabre) soulignent surtout un resserrement du long métrage de sa frontière vers son cœur, à savoir, ses soubassements difformes, ses chairs mélancoliques. Monolithes de souffrance effritée, Denis Lavant et Isild Le Besco campent avec entêtement deux spectres égarés. Pures apparitions physiques, l'osmose qu'ils dégagent devient rapidement suffocante et inconfortable. En effet, comment désirer ou apprivoiser une fougueuse jeune femme quand son enveloppe plantureuse nous est d'emblée assénée avec une morne platitude ? Et quid du magnétisme d'un homme dominé par sa partenaire au sein de chaque plan et jusque dans son lit ? Le propos, parfois laborieux, hésite à réfuter son canevas pour pouvoir se jouer de l'attente comme lorsque les cinéastes privilégient une durée ramassée ou introduisent une visite en accéléré du lieu désert. Saluons néanmoins la représentation de la substance du purgatoire qui s'articule sur une trajectoire toute de fixité et de correspondances. Il y a d'abord Camille, jupe en jean et talons, sillonnant les voies ensoleillées du camping, walkman rivé sur les oreilles. Puis, s'enfonçant dans le néant nocturne, survient cette autre scène où, gavée de somnifères, son corps inerte d'Ondine ressurgit au premier plan pour attendre que son amant - alter ego du mythologique Charon - finisse de gesticuler pour la précipiter dans la mort. Et enfin, l'emplacement vide de sa tente (la caravane métaphore du bac de l'Achéron), dépouillé des artifices pour libérer des fragments de phrases, flânant d'une cime d'arbre à une autre. Paradoxe d'un film qui réussit plus dans ses sobres volontés élégiaques que dans sa propension aux afféteries putrides et à une dérangeante opacité.
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