Cecil B Demented fait du cinéma terroriste. Et c'est exactement ce que fait John Waters à travers son personnage principal et son film dans le film.
Stephen Dorff incarne un réalisateur indépendant et extrémiste, Cecil B Demented, qui kidnappe une star hollywodienne (Melanie Griffith) pour la faire jouer dans son film anti-hollywood. Le cinéaste qui prône un cinéma sans fard et anti-commercial, choisit des cibles bien réelles à laquelle ses acteurset/ou fidèless'attaquent pour de vrai sous l'oeil de sa caméra. L'arrogante actrice hollywoodienne trouvera alors sa vocation et joindra corps-et-âme le groupe qui assurema ses convictions jusqu'au bout.
Le film oscille entre réalité et fiction continuellement. Le film de Demented glisse rapidement dans la réalité puisque ses cibles et ses attaques sont bien réelles. Tellement réelles que le film tourne en fait au documentaire, un documentaire sur les actions terroristes d'une bande de cinéphiles de l'extrême. Le film de Demented bascule en fait en documentaireou cinéma-véritéau moment même où Griffith change de camp. Tant que Griffith joue le rôle de meneuse de ce groupuscule terroriste dans ces attaques bien réelles, nous sommes bel et bien dans le film de Demented. Mais dés que la star succombe aux idéaux du groupe, elle prend alors possession de ses actions et ses dialogues rejoignent ses convictions. Elle ne joue plus, elle est l'un d'eux et le film de Demented devient alors documentaire.
Dés ce moment l'oeil de la caméra de Demented et le cinéaste lui-même n'ont plus de raison d'être. La caméra de Demented devient celle de Waters, et Demented n'est plus qu'un acteur dans le film du réalisateur John Waters. Il n'y a donc plus de film dans le film, seulement le film de Waters sur un groupe de jeunes terroristes cinéphiles. En s'appropriant le film et le rôle de Demented, Waters assouvit ses fantasmes anti-Hollywood, et nous indique clairement ses vrai convictions. Le réalisateur Cecil B Demented lui sert de substitut pour ses propres règlements de comptes. Et le fait que Cecil B Demented, le nom du réalisateur, soit aussi le titre du film ne fait que confirmer qu'il n'est qu'une création sur la pellicule et le pantin de Waters.
L'histoire de Waters s'inspire d'une histoire vraie, celle de Patty Hearst, petite-fille de William Hearst (celui qui a inspiré Orson Welles pour Citizen Kane) qui avait été kidnappé puis s'était rangée aux côtés de ses ravisseurs. Et histoire d'encore plus troubler les limites entre fiction et réalité, elle tient le rôle de la mère d'un des ravisseurs de Melanie Griffith dans le film.
John Waters s'attaque donc à Hollywood. Dés le générique, il annonce la couleur. Ses cibles sont les productions commerciales, des navets aux succés populaires en passant par les spectacles familiaux (aux antipodes de ses propres réalisations) ainsi que les versions doublées et les remakes de films étrangers. On ne s'étonnera donc pas des allusions à Star Wars, Star Trek, Postman et autres navets. Il sera d'ailleurs intéressant de remarquer que nombre des navets mentionnés sont au palmares des Golden Raspberry Awards dont justement John Waters est un membre. Si il est facile de tirer sur ce genre de films, le film devient plus audacieux quand il s'attaque à des films phares de la culture cinématographique populaire. A commencer par Patch Adams (par ailleurs nominé aux Raspberry Awards 1999!). Si Patch Adams fut un succés populaire certain, ce film symbolise la mièvrerie hypocrite et indigeste d'Hollywood pour qui voyeurisme, bons sentiments mielleux et humour bon marché font toujours recette. Sans oublier évidemment Robin Williams, qui depuis The Dead Poet Society a sombré dans l'auto-caricature et le grotesque, enchaînant rôles mielleux du même acabis qu'il soit prof, docteur ou robot. Waters ne s'en est d'ailleurs toujours pas remis; et on le comprend. Arrive ensuite Gump Again, suite (ou remake baltimorien) de Forrest Gump, un film considéré comme un chef d'oeuvre et courroné d'un ultime Academy Award qui, pourtant utilise les même ingrédients qu'un Patch Adams mais avec une production plus luxueuse (qui dit Tom Hanks dit Academy Award garanti). Les scènes d'attaque de la séance de Patch Adams ou du tournage de Gump Again sont hilarantes et des plus jouissives.
Mais le film de Waters est à double-tranchant. Si Hollywood en est la cible évidente, le cinéma indépendant ou underground n'est pas épargné. On remarquera facilement que les règles du cinéma de Demented s'inspirent des fameuses règles du Dogma, tandis que le style et façon de filmer renvoient à Troma et Waters lui-même. Et à travers les membres du groupe, du trashy au pseudo-intello artistique tout le monde en prend pour son grade. Ainsi quand ils revendiquent l'art, Waters les remet en place à travers les bonnes mères de famille "you straight-to-video" ("vos films vont directement en vidéo"). Waters pratique ainsi l'auto-dérision et se moque de ceux qu'il a influencé.
Quant au film en lui-même? on s'amuse beaucoup. Le film est un régal pour peu qu'on ai le deuxième degré, et l'humour est cinglant. Cecil B Demented est bien plus mordant que les derniers films de Waters (Pecker, Serial Mom). La provocation est toujours là, même si plus légère qu'à ses débuts. Côté personnages, ils sont caricaturaux certes, mais bien évidemment au profit de la satire. Les terroristes appartiennent tous à des minorités et arborent des tatouages de réalisateurs cultes. Le choix des minorités est justifié car justement ils doivent être à l'opposé du cinéma mainstream et donc de la masse. Mais le fait qu'ils se revendiquent de ces cinéastes cultes, qu'ils soient trashy et ne fassent pas forcemment du bon cinéma sert au propos de Waters, la satire d'un cinéma indépendant et underground qui s'auto-proclame de qualité. Waters se moque aussi gentiment des cinéma porno et de karaté qui sont aussi dans le même segment que le sien.
Mélanie Griffith est un choix judicieux. Dans la lignée de Celebrity, elle est une star qui se cherche, et il est clair que Cecil B Demented apporte à sa carrière ce que le film de Cecil B Demented apporte à son personnage: renaissance et respect. Son jeu est charmant et loin de la catastrophe de certaines de ses grosses productions hollywoodiennece qui est d'ailleurs mentionné à son personnage dans le film (autre clin d'oeil de Waters, on remarquera que son ex-mari est interprété par Eric Roberts, un des rois de la série B tout comme l'ex de Griffith, Steven Bauer). Stephen Dorff trouve aussi enfin une certaine crédibilité et assume avec succés ses airs de dément. Le reste du groupe reste dans le registre de Troma, ce qu'ils représentent.
Cecil B Demented est un film jubilatoire qui fera grincer les dents des bien-pensants et de ceux qui le regarderont avec des oeillères. Du cinéma terroriste qui fait du bien dans le paysage cinématographique actuel.