Cinéastes à tout prix
Réalisé par Frédéric Sojcher
Avec : Jacques Hardy, Max Naveaux, Benoît Poelvoorde, Noël Godin
Scénario : Frédéric Sojcher
Durée : 1:03
Pays : Belgique
Année : 2004
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On n'en croit pas ses yeux, ce que l'on voit à l'écran ne peut être vrai. Tout spectateur vierge d'information sur Cinéastes à tout prix, de Frédéric Sojcher, risque de se poser beaucoup de questions quant à l'authenticité des images qui ouvrent les premières minutes de ce film. Expérience par ailleurs très enrichissante de le visionner sans même savoir qu'il s'agit d'un documentaire. On nous montre des extraits de nanars aux titres dignes des plus beaux forfaits d'Ed Wood (Mon curé chez les sorcières, Furor Teutonicus, Maquis contre Gestapo, etc.), entrecoupés d'extraits d'interviews de leurs auteurs, dont le premier, un certain Jean-Jacques Rousseau (ça ne s'invente pas), se montre cagoulé pour éviter que la caméra, selon la vieille légende indienne, ne lui vole son âme (sic).
Préambule à un pastiche de documentaire sur les recalés du cinéma ? Vaste blague potache sur le cinéma belge ? Que nenni ! Tout est vrai : les anecdotes, les confidences sur les tournages, les témoignages des acteurs qui ont vieilli, les titres, les films eux-mêmes. Absurdes, ridicules, caricaturaux, ces trois cinéastes amateurs inconnus qui signent des oeuvres depuis les années 60 jusqu'au début du 21e siècle (la filmographie de Rousseau compte plus de trente films), alignent les clichés sur le cinéma, en les tirant vers le comique, tant le sérieux qu'ils affichent dans leurs déclarations a priori pathétiques détonne avec leur propos. On a tendance à se moquer de ces témoignages, de rire à leur dépens. Tout y passe : les révélations sur les recettes des effets spéciaux utilisés, les scènes qui les rendent fiers (faire voler des spaghettis, placer dans une séquence des rêves « érotico-arabes », sic !), les souvenirs de tournages (un acteur dit de Jean-Jacques Rousseau, qu'il donne parfois des indications après que la scène a été tournée, tandis qu'un autre raconte les accidents pendant les scènes d'action dont on sort parfois blessé), les réflexions sur le cinéma avec un grand C (Rousseau exprime dans son œuvre sa souffrance, qu'il emportera sans doute dans sa tombe, parce qu'on souffre même parfois après la mort. sic !), les hommages aux grands (tel travelling inspiré du maître Kubrick), ou encore la fidélité que témoignent les proches collaborateurs, exerçant dans le civil des métiers aussi divers qu'inspectrice de police, professeur ou chanteuse de jazz.
Passés les rires provoqués notamment par des scènes burlesques, des sketches à part entière , comme ce casting improvisé dans un marché, ces cinéastes de série Z se révèlent, peu à peu, et expriment une passion sincère et touchante. Pas de subsides pour financer leurs productions ? Qu'importe, ils redoublent d'inventivité, et avec leurs maigres moyens, parviennent malgré tout à boucler leurs projets. Du bruitage (un sac en plastique qu'on froisse pour figurer des pas dans l'herbe) aux maquettes utiles pour les batailles homériques, en passant par les vieux films périmés récupérés pour réduire les coûts, on assiste à un véritable artisanat du cinéma. Maître mot : la passion. Finalement, ils s'avèrent moins ridicules qu'au premier regard. Amateurs certes, mais au sens noble du terme, qui se placent plus volontiers du côté d'un art brut cinématographique proche du surréalisme, comme se plaisent à le définir des personnalités belges tels que Benoît Poelvoorde ou Noël Godin, qui leur reconnaissent un certain génie. Rousseau, toujours lui, commence une de ses œuvres par un carton sur lequel on peut lire : « 20 ans après ».
La grande réussite de Cinéastes à tout prix tient dans la justesse et la sincérité des portraits de ces tendres cinglés, complètement mégalos, mais pas du tout prétentieux. Des artisans respectables qui, du fin fond de leur région, mènent une lutte finale. A l'image des paroles écrites par Rousseau, sur l'air de l'Internationale.
Moland Fengkov
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