Avec : Jean-Pierre Bacri, Marilou Berry, Agnès Jaoui, Laurent Grevill
Scénario : Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri
Durée : 1:55
Pays : France
Année : 2004
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La quête désespérée du regard imprègne cette comédie de moeurs intimiste, emportée par une réalisatrice, au sommet de son art.
Lolita (Marilou Berry, vraie révélation), jeune fille ronde, mal dans sa peau, souffre de l'écrasante notoriété de son écrivain de père (Jean-Pierre Bacri), un homme égoïste et immature. Elle se passionne pour le chant, forme de transcendance qui la détache de la dictature de l'apparence physique. Brimée par un paternel qui néglige de la regarder, Lolita souffre. Tiraillée entre ses devoirs filiaux et l'envie de s'affranchir de cette tutelle étouffante, elle se rapproche de son professeur de chant (Agnès Jaoui), dont le mari tente de percer dans le milieu littéraire.
Le film est le récit d'un cheminement à l'échelle d'une communauté, transformée au sortir d'un processus irréversible de tomber de masques. Jaoui met en lumière les rapports de pouvoir qui lient des personnages, ordinaires de cruauté. Son sens féroce du détail soutient un propos qui se situe dans une tradition littéraire française : l'étude de caractères. Jaoui porte un regard sans aménité sur ses contemporains, animaux sociaux, rompus au jeu (de dupes) social.
Avec justesse et subtilité, Agnès Jaoui, qui assume le rôle pivot du professeur de chant, brosse une galerie de portraits bien sentie. Par petites touches, elle caractérise chacun d'entre eux, travaille, telle l'orfèvre, leur psychologie complexe. Le film repose essentiellement sur cette fine observation, à la fois des individus mais encore du milieu miné de l'édition, proche de celui du show business. Dans une séquence sans équivoque, son intrigue déborde jusqu'aux plateaux de télévision. Le spectateur français n'aura aucun mal à identifier le présentateur du talk show dont Jaoui offre une parodie grinçante. Ce côté très « français » du film saura-t-il néanmoins parler à un public international ? On est tenté de répondre par la positive car Comme une Image brasse des thèmes universels : la construction de l'identité, la filiation, l'art et par association, la représentation, y compris sociale.
On pourrait penser que Jaoui ne laisse aucune chance à ses personnages. Certes, son cinéma n'est pas exempt de cruauté. Pour autant, elle évite le jeu de massacre et la caricature. Au final, Lolita, dont le poids du corps constitue un handicap dans son rapport à elle et aux autres, élève sa voix aérienne dans une église que ne tarde pas à déserter son père. C'est de l'âme dont parle Agnès Jaoui dans cette séquence enchantée. Quant à l'écrivain, il manque littéralement la (re)naissance de sa fille. Lolita s'ouvre à l'amour et le reconnaît dans un final aussi touchant qu'anti-spectaculaire. Ce cinéma de la nuance est celui d'Agnès Jaoui, toute de retenue pudique. La lumière chaude et douce qui éclaire ses scènes toutes intérieures, est en parfaite adéquation avec les sentiments à l'œuvre dans le film. Jaoui est incontestablement la seule réalisatrice française à nous faire autant aimer « le goût des autres ».