critique de Conversation(s) avec une femme
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Le script ciselé d'abord transfigure une situation anodine en une formidable radiographie des relations énamourées. Les répliques savoureuses se succèdent, piquantes ou primesautières, réussissant à instiller une mélancolie palpable, grave et profondément sincère. Véritable pierre angulaire de l'entreprise l'écriture esquive une théâtralité austère pour privilégier un filet verbal épuré, presque nonchalant - langue susurrée des chansons de Carla Bruni ondoyant en fond sonore. Les fêlures apparaissent dès lors dans les traînes des dialogues, comme des éclats de souvenirs éraillant un numéro de séduction caduque où personne n'est dupe. Ce formidable texte, élan de défrichage entre un homme et une femme - aucun autre personnage présent si ce n'est un caméraman chafouin et une pimbêche croisée dans l'ascenseur -, atteint des sommets de véracité ou d'émotion grâce à deux interprètes sensationnels. Helena Bonham Carter et Aaron Eckhart prenant un plaisir communicatif à leur marivaudage. Utilisant la faible part accordée au montage et le dispositif retenu par le cinéaste (deux images accolées, chaque acteur ayant une caméra rivée sur lui), ils parviennent à soutenir les joutes verbales et physiques par un mélange feutré de défiance, d'espièglerie et de mélancolie. Sans cesse sur le fil du rasoir ils donnent l'impression qu'ils vont être submergés par l'amertume ou le mélo au moindre geste ou regard du partenaire, mais l'ironie et l'abolissement des distances qu'ils manient avec dextérité préservent le cap. La singularité formelle de Conversation(s) Avec Une Femme consiste à un recours permanent au split screen. Avant la projection, le spectateur peut être amené à s'interroger sur le bien fondé du choix de présenter un écran constamment coupé en deux. A peine le long métrage engagé, le charme opère, sans ostentation. Cette frontière univoque délimite et achoppe les deux univers de perceptions des anciens amants comme un ébrèchement, une brisure infinie qui marquera à jamais leurs horizons respectifs. Corps et psychés à l'aube de la quarantaine se sont progressivement indurés, craquelés, et la séquence du déshabillage conforte la thèse de la scarification des êtres - sûrement résultante de leur séparation déchirante. Le schisme capiteux striant l'image retranscrit avec pudeur et intelligence le vide abyssal prégnant qui précipite l'affaissement des idéaux et sentiments - absence de l'enfant comme gangrène endogène. Décadrages inopinés, apposition sidérante du champ et du contrechamp, déni indéfectible de la symétrie (les points de vue diffèrent toujours légèrement) participent comme autant de dérobements ou de louvoiements à la mise à plat inopinée de l'impossible nécrologie du romantisme (imaginaire débridé, flash-back imparfaits…). Penauds et inconsolables les deux protagonistes s'éloignent finalement, emmitouflés dans un cadre retors. Et alors que la juxtaposition de deux scènes identiques donne enfin l'illusion de les réunir ils n'ont jamais été aussi seuls et désenchantés. Quelle prouesse délectable de dépeindre aussi magistralement - et avec affection de surcroît - le venin de l'étiolement des souvenirs pour des êtres-palimpsestes qu'une légèreté de mœurs n'aidera pas à recouvrer le fourreau chaleureux de l'innocence.
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