Crossing the bridge - the sound of Istanbul
Réalisé par Fatih Akin
Avec : Mercan Dede, Orient Expressions, Duman, Replikas
Scénario : Fatih Akin
Titre Original : Crossing the bridge - the sound of Istanbul
Durée : 1:30
Pays : Turquie / Allemagne
Année : 2005
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Il est des langages qui traversent les frontières. Après s'être distingué, en 2004, au Festival de Berlin avec Head-on (Ours d'or), Fatih Akin, membre du jury du 58e Festival de Cannes, promène sa caméra dans les rues de la ville la plus emblématique de son pays d'origine : Istanbul. Mégalopole protéiforme, difficile à apprivoiser, et dont les subtilités se dérobent au regard du touriste de passage. Pour inviter le spectateur à découvrir les richesses de cette ville paradoxale, à cheval entre deux continents (L'Europe et l'Asie), le réalisateur choisit une langue qui parle à tous les peuples de la terre : la musique. Et un guide éclairé, sensible aux sons, dans toutes leurs formes, en la personne de Alexander Hacke, bassiste du groupe-phare de la scène rock indus des années 80 : Einstürzende Neubauten, célèbre notamment pour ses percussions fabriquées de toutes pièces, et ses concerts tonitruants utilisant perceuses, scies circulaires, et autres outils transcendés en instruments.
Hacke a travaillé sur la bande originale de Head-on. A cette occasion, il rencontre un groupe néo-psyché, Baba Zula, qui lui demande de remplacer leur bassiste. Tout comme l'illustre la citation de Confucius en exergue du film, qui prétend qu'on comprend mieux l'âme d'un lieu à travers sa musique, Hacke ne se contente pas de débarquer avec sa basse, mais il place dans ses valises tout un arsenal permettant d'enregistrer n'importe où, dans les conditions d'un studio professionnel. Le film, sorte de carte postale kaléidoscopique de la ville, alterne entre les commentaires du visiteur teuton et recueil de témoignages d'artistes stanbouliotes. S'ouvrant sur des vues aériennes ponctuées par des commentaires d'autochtones livrant leur amour pour leur ville, il ne tarde pas à s'enfoncer dans les ruelles et les bars underground de Beyoglu, quartier chaud que fréquentent les noctambules, pour pousser la visite hors les murs. Généreux, les musiciens se livrent à des démonstrations de leur art, tandis que Akin filme, parfois in extenso, leur performance. Témoin, cette séquence où Ceza, jeune rappeur au phrasé proche du staccato reconnaissable de l'AK47, livre, a capella, ses paroles pleines de messages sociaux et politiques. Ce qui donne lieu à de mini-clips vidéo occupant autant l'espace filmique que la bande son, omniprésente, occupe l'espace sonore. En accordant une place égale à différents styles musicaux, Akin donne à son film des accents d'exhaustivité, pour le plaisir des mélomanes.
Si on y parle surtout de tempos et de mesures, Crossing the bridge évoque également, dans le discours des artistes, tous les éléments constitutifs de la richesse culturelle du pays, sans pour autant nier les problèmes sociaux tels que le chômage ou la soumission aux drogues dures. Des influences des pays voisins à la grande question de l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne, en passant par l'éternelle opposition entre Orient et Occident, la place qu'occupe les Turcs dans le monde se retrouve déclinée dans tous les styles musicaux. Point commun : tous les artistes apparaissant au générique ont su insuffler à leur musique une part importante de l'identité culturelle de leur pays. Du " boucan de qualité " du groupe de rock les Replikas, à Sezen Aksu, figure incontournable de la pop traditionnelle, en passant par Orhan Gencebay, star du cinéma et champion du saz (instrument féodal à cordes équipé d'un long manche), offrant à Hacke un show unplugged, ou encore Aynur et ses complaintes kurdes, le voyage qu'offre le film traverse les âges et les préjugés pour faire mouche à chaque fois. Conquis, le spectateur devient un auditeur aux goûts éclectiques. L'une des séquences les plus significatives de la générosité de la musique qui dépasse les achoppements politiques et sociaux reste ce passage à Kesan, près de la frontière avec la Grèce, chez des Roms qui, au cours de sessions où l'alcool coule à flots, peuvent mener les convives jusqu'à la transe. Face à la musique classique turque, on écoute. Devant la musique tzigane, on ne peut que danser. Portés, transportés, happés. En passant d'un monde à l'autre de la musique turque aux multiples facettes, Akin réunit passé, présent, et futur. Car son pays, soucieux de préserver son identité, se tourne également vers l'avenir que représente sa place en l'Europe, tant sur le plan culturel que politique et économique. Ou la musique comme métaphore des paradoxes d'un pays difficile à appréhender dans toutes ses contradictions. Comme le dit Bison, chanteur des Siyasiyabend, groupe de musique de rue, qui joue autant du jazz-rock que du folk oriental, la rue rapproche les classes sociales, mais c'est également un lieu de déchéance, car le pavé reste toujours dur.
Moland Fengkov
Documentaires
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