critique de Destricted
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L'idée d'interroger le cinéma sur l'acte pornographique à travers une série de sept courts confiés à des réalisateurs connus, si elle n'est pas des plus novatrices, demeure, dans une période de récession libertaire, un acte fort, engagé, volontaire : car la pornographie, au sens étymologique : écrire l'acte sexuel, n'est ni plus ni moins qu'une écriture artistique plurielle (littéraire comme cinématographique) qui prend pour cible la sexualité humaine au plus près, à la façon d'un entomologiste penché sur ses insectes. Ainsi Matthew Barney, dont le très organique Hoist ouvre la séance sur l'éclosion parasitaire d'un phallus déshumanisé, accouple homme et machine dans une élévation métaphorique et ergonomique servie par une esthétique admirable, une sensualité inédite et sauvage : du Giger tendance masculine aux humeurs assumées, lubrifiant sexe et pistons dans un rapport qui ne recherche, ni ne procure le plaisir mais une intimité fusionnelle des corps, sans jugement ni intervention. Un film-offrande inattendu (même lorsque l'on est familier du travail de l'artiste), hypnotique, d'une beauté paradoxalement "naturelle". On passera plus vite sur les images stéréotypées du House call de Richard Prince, dont le montage sonore et la réappropriation télévisuelle ne changent en rien la perception anatomique (particulièrement généreuse ici) du film pornographique; sur la performance technique du Sync de Marco Brambilla qui fusionne et compile cinéma dit classique avec l'industrie du porno en une boucle-minute aussi vite regardée qu'oubliée; encore -et tristement- sur le travail-performance du Balkan Erotic Epicde Marina Abramovic qui, sous couvert d'ethnologie rudimentaire, imaginaire ou non on ne le saura jamais, empêche la réaction du public (rires de jeunes femmes face à la représentation visuelle de leur propre corps âgé / attirance-dégoût du sexe, pas seulement opposé) d'atteindre son apothéose-miroir par la distance que le cinéma (im)pose entre le spectateur et le sujet -et l'on sait Abramovic experte dans la manipulation du spectateur, d'où une frustration de taille : n'aurait-il pas plutôt fallu filmer la salle face au film et en tirer des conclusions navrantes sur le rapport de l'humanité à son propre corps, à sa sexualité? Sam Taylor-Wood, dans cet ordre d'idées, confronte la douloureuse impuissance d'un homme solitaire à une Death Valley (Vallée de la -petite, ici- Mort, qui n'aura pas lieu justement) impitoyable de froideur et d'indifférence : rapidement le rire féminin du public (souvent le premier déclenché par cette programmation très masculine, en terme de représentation du sexe à l'écran) accuse et empêche la concrétisation de la jouissance, en parfaite illustration de la performance exigée de l'homme dans sa sexualité et que le spectateur niera à son tour en joignant ses encouragements excédés aux rires. La masturbation prend fin sur un poing serré, honteux, dans une grimace désespérée, radicale (coup de chapeau). Le film de Gaspar Noé procède du même énervement infligé à la salle, en vingt-trois minutes stroboscopiques visuellement épuisantes qui déconstruisent la relation sexuelle banale d'un couple avec enfant en reproduisant le rapport pornographique induit par un film suivi à la télévision : We fuck alone s'illustre alors en deux longs plans alternés, indépendants, elle avec son ours en peluche / lui avec sa poupée gonflable, couverts des cris d'un bébé abandonné sur lesquels le spectateur averti (parce que Gaspar Noé, c'est forcément dérangeant, un a priori en sa (dé)faveur dont le cinéaste souffre certes, mais abuse -la nécessité du revolver, par exemple, qui entérine une symbolique commune, évidente, et n'apporte rien au parti-pris déjà fort du film?) projettera ce qui, lui seul, le travaille (extrémisme, viol, soumission et inceste entre autres). Plaintes sempiternelles quant à la durée ou l'insoutenable contenu, quand la possibilité de quitter la salle est en permanence remise en cause par un voyeurisme jusqu'auboutiste, nié bien entendu, que justifient la rentabilité et la mauvaise foi. L'interrogation pornographique retournée par le cinéaste oblige le voyeur à se poser la question de ce qu'il regarde, thématique chère à Gaspar Noé : suis-je ce que je regarde? C'est aussi la question que pose Larry Clark à une dizaine de spectateurs de films pornographiques, dans un long documentaire qui se propose d'explorer le rapport du consommateur du produit avec son acteur (ici le spectateur mâle avec l'actrice pornographique) : étonnant contraste que celui des discours et des actes, où les pornophiles fort en gueule se déshabillent à contre-cœur, n'assumant ni corps ni paroles, et les actrices insistent sur l'espoir de leurs gestes, ne stigmatisant à aucun moment le caractère dégradant de leur profession, mis en avant par les ligues anti-pornographiques. Véritable exercice de télé-réalité (casting / sélection / performance), Impaled se terminera -et c'est vraiment ce qu'on lui reproche- par une longue scène de cul aussi classique qu'improbable entre le spectateur élu par le réalisateur (et on comprendra pourquoi) et l'actrice choisie par lui, où l'homme fera étonnamment l'affaire (quel amateur tiendrait pourtant plus de trois minutes entre les mains expertes d'une professionnelle du sexe dans les conditions de tournage offertes?) et la femme sera pour le coup humiliée, victimisée, ridicule, sous les applaudissements emballés de la salle. L'inversion pertinente du rapport, proposée dans la première partie du documentaire, aurait pu (dû?) donner lieu à une remise en question du rôle joué par la pornographie dans la vie quotidienne autrement plus intéressante que le performant exercice final. Triste constat.
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