Jean-Luc Godard préfère les questions aux réponses : à travers la quête d'un jeune homme à la recherche de l'amour, il revisite le lien très fort unissant mémoire et amour, tous deux créateurs et matrices de mythes. Chaque chose étant multiple pour Godard, l'enquête d'Edgar sur la Résistance prend une signification hétéroclite et tend à redonner aux mots, comme au langage cinématographique, leur véritable essence : résistance contre la brutalité allemande, contre le cinéma de grande consommation des « Américains du Nord », contre l'oubli, contre le faux. Marchand d'art, Edgar cherche l'amour dans sa voiture avec chauffeur, ses discussions avec les Anciens qui ont vécu, comme il chercherait une toile de maître parmi les faux et les copies.
Cette quête complexe prend la forme d'un monologue intérieur (la communication avec les autres étant souvent belle mais vaine) dont les innombrables références se répondent les unes aux autres, jusque dans la toponymie. Des pierres qui célèbrent l'histoire puisque celle-ci a besoin d'être racontée, aux fins qui donnent un sens aux évènements en passant par les livres et les trains, chaque fragment d'image a sa propre résonance et sinon une linéarité du moins une histoire.
D'un Paris filmé en noir et blanc, presque figé dans la beauté de ses cafés et des ses fontaines, à une Bretagne étouffante aux couleurs saturées, Godard suit l'itinéraire tortueux d'un homme qui cherche entre jeunesse et vieillesse une bonne raison de continuer.
C'était assez conceptuel et riche pour être prometteur. Godard poursuit là sur le chemin du cinéma comme expérience personnelle, comme moyen de connaissance scientifique où l'image cinématographique tient lieu d'expérience. Ça marche parfois, comme dans la très belle scène où il suggère que le cinéma n'est plus magique mais que la magie est au contraire à l'extérieur du spectacle. Mais si cet amour de la contradiction est l'une des plus grandes qualités du cinéaste, il est aussi son plus grand défaut : à force de refuser le romanesque qu'il déclare pourtant admirer, de superposer dans un infini jeu de miroirs les significations et les références, il se perd dans un babillage brouillon qui chloroforme le spectateur au lieu de le réveiller. A l'instar de « ces gens qui parlent comme des chercheurs d'or pour trouver la vérité» et brassent beaucoup de gravillons pour une pépite, il s'oublie dans un casse-tête privé, réservé aux seuls initiés. A vouloir dire trop de choses sans les faire exister assez longtemps, il refait revivre l'une des plus jolies phrases de son Petit Soldat : la loi de l'emmerdement maximum.