Exils
Réalisé par Tony Gatlif
Avec : Romain Duris, Lubna Azabal, Leila Makhlouf, Leila Makhlouf
Scénario : Tony Gatlif
Durée : 1:43
Pays : France
Année : 2004
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On palpite. Exils, de Tony Gatlif, est un road-movie qui avance au rythme du cœur. Celui que les musiciens mettent lors dans leurs interprétations, celui qui s'accélère à chaque poussée d'adrénaline, lorsque les émotions viennent crever la peau, celui qui accompagne chaque pas des héros en quête d'identité. Exils, au pluriel : à travers l'aventure d'un jeune couple qui se rend en Algérie sur les traces de leurs origines, le cinéaste livre un message universel à tous les déracinés du monde. Jouissif.
Visuellement frais comme une brise venue du désert, le cinéma de Tony Gatlif se nourrit avant tout de musique. Jamais uniquement illustrative, elle poursuit les répliques des personnages, se pose parfois en voix-off, traduit leurs pensées. Dans Exils, elle entreprend le même voyage que Zano et Naïma.
Au début urbaine, (textes rageurs sur rythmiques quasi-industrielles), elle raconte la mixité au détour d'une version du « Petit quinquin » (célèbre comptine lilloise) version tzigane, avant de devancer les voyageurs pour les retrouver à la Carboneria de Séville, lieu mythique où on célèbre le flamenco jusqu'au bout de la nuit. La bande-son va jusqu'à habiter l'image même, notamment lors de cette séquence où la déambulation de Zano dans les rues encore endormies offre un concert de bouteilles vides juchées sur le sol ; ou encore, moins poétique mais tout aussi cocasse, dans cette scène où, au fond d'un car, des musiciens s'en donnent à cœur joie. Enfin, elle est au cœur de cette hallucinante scène de transe, au cours d'un rituel soufi, tourné en un long plan séquence de dix minutes, où les énergies se répandent d'un corps à l'autre, dans un processus de contamination cathartique. La caméra tournoie, les rythmiques se superposent et s'accélèrent imperceptiblement, les polyphonies vocales s'entremêlent, et les protagonistes se libèrent d'eux-mêmes dans un vertige collectif. La musique, qui se pose là comme langage universel, relaie celui du corps, lorsque les mots échouent, butant sur la barrière de la langue.
Gatlif apporte une attention toute particulière à la peau, enveloppe sous laquelle se cachent des cicatrices secrètes, qu'il filme en gros plan (un dos en ouverture du film, un pied, une oreille), comme pour mieux souligner sa participation à l'identité des individus. La peau est pour beaucoup de ces exilés le seul bagage qu'il leur reste une fois qu'ils quittent leur pays. Sur leur route, Zano et Naïma croisent des travailleurs clandestins qui montent à Paris dans l'espoir d'une vie meilleure. Jetés sur les routes, ils représentent un fleuve que les deux voyageurs remontent à contre-courant. Les uns quittent leurs terres pour mieux la nourrir, les autres rejoignent la source pour ne pas oublier d'où ils viennent. Les deux personnages du film représentent les deux parties complémentaires d'une identité universelle. Naïma se sent étrangère où qu'elle soit, à cause du décalage qu'elle rencontre entre les valeurs et les mœurs de son pays d'adoption et celle de ses origines. Elle devra passer par l'oubli de soi pour retrouver ses repères. Zano, lui, éprouve le besoin d'entreprendre ce pèlerinage sur les traces de ses ancêtres pour trouver un sens à sa vie. Bercé dès son enfance par la musique, il semble alors tout naturel qu'une fois rendu sur la tombe de son grand-père, il y abandonne son walkman, comme pour clore un cycle et en entamer un nouveau.
Exils diffuse la même énergie enthousiaste et pleine d'espoir que l'œuvre du photographe Sebastiao Salgado, autre défenseur des peuples jetés sur les routes ou loin de chez eux, mais toujours en lutte pour ne pas oublier leur appartenance. Les couleurs en plus.
Moland Fengkov
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