Histoire de Marie et Julien
Réalisé par Jacques Rivette
Avec : Jerzy Radziwilowicz, Emmanuelle Béart, Anne Brochet, Olivier Cruveiller
Scénario : Christine Laurent, Pascal Bonitzer
Durée : 2:25
Pays : France
Année : 2003
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Le cinéma, c'est l'art du temps. Et chez Rivette, l'art d'aimer, dans un même mouvement. Histoire de Marie et Julien, conte incandescent, hanté par le surnaturel, est le récit d'un amour fou, d'une passion éternelle et douloureuse, transcendée par des acteurs qui imposent, avec finesse, leur présence/absence à l'écran. Le dernier film de Jacques Rivette, chantre de la modernité, emprunte au surréalisme ses thèmes (le rêve, l'amour immortel) et renvoie à des auteurs comme Cocteau ou Hathaway (Peter Ibbetson).
Julien rêve de Marie, croisée un an auparavant à une soirée. Il la rencontre fortuitement dans la rue. Marie ne vient pas au rendez-vous qu'elle lui fixe. Puis elle réapparaît, alors que Julien ne l'attendait plus. Les amants vivent une passion ardente qui défie la mort et le temps.
Faire du héros un horloger confère à la narration sa dimension métaphorique et poétique. Dans la première partie du film (qui en compte quatre), Julien démonte une horloge ancienne, en règle le mécanisme, la remonte enfin. Le récit est à l'image de ce mécanisme qui se dérègle, tout comme la réalité se détraque et glisse vers un univers fantastique, régi par des codes secrets, inconnus parfois même des personnages. In fine, Julien, rendu amnésique par le « geste interdit », devra même remonter le temps, se souvenir de Marie qu'il a tant aimée et qui s'offre à lui dans la virginité d'une première rencontre.
La présence surnaturelle de Marie envahit tout l'espace filmique. Quand elle n'est pas présente à l'écran, la bande son, très élaborée, signale son « existence », paradoxe en soi car Marie est un fantôme. Rivette tient à incarner son héroïne. Les scènes de sexe, tout en intensité, l'érigent en être de chair et de désir à part entière. Le jeu paradoxal et subtil d'Emmanuelle Béart, qui « joue les vivantes comme si elle était morte et les mortes comme si elle était vivante » (Les Cahiers du Cinéma, novembre 2003), entretient le trouble et l'ambiguïté.
Pour assurer la liaison entre le monde des vivants et celui des morts, le chat de Julien, Nevermore, tout droit sorti d'une nouvelle de Poe (Le Chat Noir), ainsi que l'élégante Madame X (Anne Brochet) que l'horloger fait chanter. L'animal révèle à Marie l'endroit où Julien cache les effets personnels dérobés à Madame X, responsable du suicide de sa sœur. Quant à Madame X, elle voit, au sens ésotérique du terme. Il s'agit pour les vivants de délivrer les morts de l'emprise qu'ils exercent sur eux, idée poétique et bouleversante. Marie s'est libérée d'un amour destructeur en se suicidant. C'est grâce à l'amour pourtant qu'elle revient à la vie.
Dans Histoire de Marie et Julien, il y a ceux qui voient et le point de vue. Le premier segment du film concerne Julien, le second Julien et Marie, puis Marie et Julien, pour enfin finir sur le regard de Marie et sa tragédie intime. La structure filmique, éclatée entre ces différents points de vue, constitue une riche idée de mise en scène et favorise la montée en puissance de l'émotion qui trouve son acmé dans la découverte, par Julien, de la réplique de la chambre où Marie s'est donné la mort. On pense ici à la Chambre Verte de François Truffaut.
Romantique, universel et bouleversant, le dernier film de Jacques Rivette, à l'instar de ses spectres, n'en finit pas de hanter le spectateur.
Sandrine Marques
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