Avec : Nazmi Kink, Eyam Ekrem, Belcim Bilgin, Ehmed Qeladizeyi
Scénario : Rea & Sena Hiner Saleem
Durée : 1:31
Pays : France / Iran
Année : 2005
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Road movie funèbre sur fonds de guerre Iran/Irak. Voici le tragique voyage filmé de Hiner Saleem, réalisateur né au Kurdistan irakien et qui a fui son pays pour échapper à l'oppression de Saddam Hussein.
Le récit, fortement ancré dans la contemporanéité, résonne d'accents autobiographiques forts. Pour autant, l'implication émotionnelle et affective du réalisateur n'affecte pas son regard de cinéaste, mais le sert bien au contraire. Du film à thèse attendu - l'extermination du peuple kurde par l'administration Hussein et notamment, par le tristement célèbre " Ali le chimique " - on a en lieu et place un vrai film d'auteur, traversé de bout en bout par un absurde mâtiné de poésie noire. L'insolite s'invite dans une fiction où le politique donc n'est pas relégué au rang du motif, mais s'inscrit au premier plan.
Nous sommes en 1988, Ako (Nazmi Kirik), alter ego évident du cinéaste, se trouve enrôlé de force dans l'armée irakienne. Envoyé au front et contraint d'abandonner sa compagne et son fils, il vit le drame du déracinement. Au point de tout tenter pour être démobilisé. Au plus fort des combats, il recherche la blessure, atteinte à son intégrité physique, comme le gouvernement oppressif de Hussein entame ce qui le constitue au plus intime : son origine culturelle. Le sol chez Saleem n'est pas rien et relève d'une viscérale évidence physique, à l'instar de ses plans, qui se donnent dans leur immédiate frontalité. L'espoir fait place enfin : le soldat est chargé d'accompagner la dépouille d'un martyr. Il est flanqué dans ce drôle de périple par un chauffeur arabe. Contraints de composer avec leurs différences, ces ennemis intimes se jaugent, se défient et s'apprécient, dans les limites imparties par le politique qui fait cohabiter dans le cadre ces deux pôles inconciliables. Enveloppé dans le drapeau irakien, le cercueil du martyr traverse le pays sur le toit du taxi.
Terrible métaphore que cette mort en marche, métonymie vertigineuse de la guerre renforcée par l'apparition, au détour d'un plan ahurissant d'un parking/cimetière. Saleem rappelle qu'une guerre, c'est un mort démultiplié. Le cortège funèbre s'ébranle dans le sillage de l'Histoire qui trouve son symbole dans la statue monumentale de Saddam Hussein, croisée de manière récurrente pendant le voyage. Le sol et les siens retrouvés, le conflit rattrape le héros contraint à l'exil.
L'épilogue parisien ambigu laisse un goût curieux. La coalition vient d'entrer en Irak et nos héros crient leur joie. " Libres " hurlent-ils pour disparaître le plan suivant comme effacés par l'Histoire elle-même. D'ailleurs, le " kilomètre zéro " du titre édulcore la note d'espoir finale. " L'Irak a été inventé il y a quatre vingt ans et depuis le pays n'a pas fait un seul pas en avant " déclare le réalisateur que le bourbier irakien actuel ne saurait démentir.