La Vie est un miracle
Réalisé par Emir Kusturica
Avec : Slavko Stimac, Vesna Trivalic, Natasa Solak, Actor4
Scénario : Emir Kusturica
Titre Original : Kad Je Zivot Bio Cudo
Durée : 2:34
Pays : Serbie
Année : 2002
Site Officiel : La Vie est un miracle
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Ce qu'il y a de miraculeux dans le cinéma d'Emir Kusturica, c'est son immense savoir-faire ; de désastreux, son propos idéologique douteux.
Construit en trois parties distinctes, La Vie est un Miracle raconte une histoire d'amour qui a pour toile de fond l'embrasement des Balkans, en 1992. Kusturica situe son intrigue dans un temps confus qui précède l'épuration ethnique.
La première partie du film s'apparente à une fête survoltée, à une transe où des personnages épileptiques installent les éléments du drame. Un chef de gare, marié à une ancienne diva dépressive et prête à tout moment à rejouer la grande scène d'Anna Karina, s'éprend d'une jolie infirmière musulmane, apportée comme otage de guerre. Monnaie d'échange pour récupérer son fils, envoyé au combat, elle s'installe dans le cœur et la maison du héros, abandonné par l'épouse volage.
Kusturica renoue avec son univers pléthorique, où la musique omniprésente, joue un rôle majeur. Le cinéaste recherche l'excès, le figure à l'écran. Hommes et animaux composent un bestiaire, maintenant parfaitement identifiable dans son cinéma. Rien ne manque à son arche de Noé : de l'ânesse, amoureuse et suicidaire, en passant par les chats, les chiens ou les chevaux qui s'invitent à une partie d'échecs. Hommes et animaux embraquent sur la voie (métaphore récurrente des rails empruntés pour leurs déplacements par les protagonistes) d'un conflit qui les dépasse d'ores et déjà. La fête de départ au front du jeune fils, voué à une carrière de footballeur professionnel, brisée par la guerre, s'achève au petit matin, dans une atmosphère mortifère.
La deuxième partie du film s'enclenche, consacrée au conflit et à la passion contrariée du chef de gare. Kusturica fait le choix de l'économie dans ce segment plus apaisé et terriblement sensuel. L'amour impossible, qui unit les héros, les situe dans la lignée des amants maudits, comme Roméo et Juliette. La guerre gronde au loin puis se rapproche pour exploser, tout comme l'amour des personnages chemine lentement pour jaillir, incandescent.
La troisième partie, enfin, est un épilogue nuancé, sorte de happy ending en demi-teinte. Le père, qui a tant espéré le retour de son fils bien-aimé, est exaucé, au-delà de ses espérances : sa légère épouse revient à son tour et entend reprendre sa place ! Séparés, les amants se retrouvent dans une scène fantasmatique qui referme le film. Un âne, ange gardien, veille à leurs retrouvailles.
Kusturica allie la fantaisie d'un univers complexe, caractérisé par la saturation, à la poésie de sa syntaxe et la sûreté de son sens de la narration. Pour autant, la célébration de la vie, à laquelle il invite un spectateur otage, embarqué de force dans cette fanfare assourdissante des sentiments, a des relents idéologiques nauséabonds. Explicitement pro serbe, le cinéaste ne tranche pourtant pas. Et c'est là que le bât blesse. Depuis Underground, film extrêmement malsain, la position du cinéaste est connue. Dans La Vie est un Miracle, il ne donne pas à voir les affrontements, tendant vers une démonstration universelle de l'absurdité de la guerre. Il n'empêche que nombre d'indices dans le film attestent d'un ressentiment manifeste. Kusturica use de métaphores, comme ces ours barbares « au poil brun » qui dévorent un malheureux type. Il y a encore ces petites phrases, disséminées dans le film, dont celle qui sort d'un poste de télévision, où il est question du peuple serbe, victime lui aussi dans son histoire, d'exactions. Kusturica nous laisse dans cette indécision malaisante face à son dernier film. Faut-il aimer La Vie est un Miracle ?
Sandrine Marques
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