critique de Le Parfum : histoire d'un meurtrier
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Le relatif échec de cette adaptation de l'ouvrage de Patrick Süskind s'insinue dans l'esprit du spectateur comme un suc nauséabond qui à force d'afféteries (splendides décors enrubannés par la caméra), de procédés accortes (voix-off linéaire et sentencieuse aliénant l'image jusqu'à la sédimentation) ou de méticulosité castratrice (cadres bigarrés et composés jusqu'à l'écoeurement) coopte la déshumanisation du matériau originel au profit d'errements désincarnés. Si les derniers instants veulent renouer avec un souffle messianique prégnant, notamment lors d'une exécution virant à l'orgie dionysiaque et ésotérique, le cinéaste disparaît dans les travers de son systématisme formel et les corps se vautrent les uns sur les autres - tectonique lubrifiée de plaques sans substance, sensualité ou désir - infusant piteusement sans jamais fusionner. Pourtant on ne saurait railler les moyens de cette coproduction européenne affichant un luxe vertigineux. Une opulence interlope lorsqu'elle s'ingénie à représenter le dénuement obscène ou la plus limpide des effluves avec une emphase graphique presque grotesque. Etonnant que le réalisateur de Cours, Lola, Cours, alors qu'il adopte à de multiples reprises une frontalité salutaire, se noie dans une pestilentielle lourdeur qui voit agoniser ses images dans une fétide démesure - teinte verdâtre sépia qui sous couvert d'épate finit d'étouffer la moindre senteur. Inanité et éparpillement, voici les relents astringents qui nous assaillent lorsque nous entrons littéralement dans les narines de Grenouille. La gageure de l'entreprise résidait dans la propension à induire une sensation subliminale d'odeur. Or avec une opiniâtreté désarmante Tom Tykwer préfère thésauriser cet aspect du récit en agrégeant son chapelet de scènes aux sons (voix, vibrations, vrombissements, chuintements) omniprésents - astucieuse mise en exergue de l'épisode fulgurant de la caverne. Le résultat bâtard parvient à se maintenir durant les deux tiers du long métrage pour irrémédiablement s'effondrer dans une dernière partie besogneuse éconduisant les fondations de l'horreur pour privilégier les clichés les plus éculés relatifs aux serial killers (Alan Rickman haranguant les notables à raisonner selon les dogmes du profilage, inepte et risible). Pourtant, durant ce segment, nous pourfendent des tableaux dérangeants et saisissants de femmes au crâne rasé, occises et abandonnées dans une quiétude proche de la jouissance - morbidité du carcan sociétal façon Nobuyoshi Araki. De véritables natures mortes - divine Rachel Hurd-Wood - qui, libérées du poids de leurs essences par la technique de l'enfleurage (tristement sous-exploitée), acquièrent une dimension picturale tangible. Leur teint opalescent façon Vermeer cautérise la fiction pour ouvrir une brèche vers le véritable talent sur lequel discourt un Dustin Hoffman impeccable. Durant ces quelques secondes et émaux afférents volés au flux putassier, le schisme de l'amoralité empourpre l'atmosphère, libérant le spectateur des scories maussades de l'anecdote pour enfin faire corps avec le falot Ben Wishaw. Derrière sa prestation racornie, narcissique et insipide pointe la silhouette d'un avatar de tout autre calibre, le Ben Hawkins de Carnivále. Alors que ce dernier après une profession de foi avortée accédait au patriarcat inquiet de sa petite communauté dégénérée et marginale, l'évaporation anthropophagique finale de Grenouille dans les mêmes contreforts de la paupérisation laisse de marbre. Un comble dramaturgique.
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