Le Promeneur du Champ de Mars
Réalisé par Robert Guédiguian
Avec : Michel Bouquet, Jalil Lespert, Philippe Fretun
Scénario : Georges-Marc Benamou
Durée : 1:57
Pays : France
Année : 2004
Site Officiel : Le Promeneur du Champ de Mars
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Aux détracteurs de Mitterrand pour qui la pilule a forcément du mal à passer, on dira que Le Promeneur du Champ de Mars n'est pas un film politique, que ce n'est pas son sujet. On se doute bien que Guédiguian n'est pas un thuriféraire de la geste mitterrandienne. Ce qui l'intéresse, lui cinéaste, c'est d'abord ce qui meut le monarque républicain en sa fin de règne : que faire de son corps, sinon, in extremis, défendre son incarnation (dans l'Histoire, le mythe), aux dépend d'une inéluctable disparition ? Vrai sujet, celui-là. Intime contradiction d'un homme désireux de laisser une trace dans le passé quand tous les autres n'ont d'yeux que pour l'avenir. Vrai sujet, oui, mais politique là encore, et pas du tout traité.
Guédiguian se laisse piéger par Mitterrand comme le journaliste (Jalil Lespert) auquel, sans doute, il s'identifie. A la constante esquive du Président, il répond par la dérobade, le même genre d'entre-deux qui vous envoie direct un film aux limbes d'une mollesse sans appel. Cependant, c'est quand même cet entre-deux là que le cinéaste veut filmer, sinon interroger. Un corps en ruine et une parole pour le faire vivre malgré tout, un repli sentimental (pourquoi tant d'acharnement, de haine envers un homme qui meurt ?) au beau milieu d'un jeu de pouvoir : étrange plainte pour qui, voulant laisser sa marque à l'image des gisants de la cathédrale de Chartres sur le passé d'une France rêvée éternelle, doit tout de même rendre des comptes, sinon au moins se préoccuper de son héritage. Sujet poreux qui n'empêche pas le film de dériver vers l'hagiographie involontaire, en épousant la tactique de Mitterrand plutôt qu'en cherchant à la contrer.
Politique, le film l'est à son corps défendant, exactement comme celui de Mitterrand, corps qui se défend de ne pas être autre chose qu'un corps. Et la question revient sans cesse, lancinante : quelle France filme-t-on ici ? Dérangeante impression d'un film pas du tout contemporain, où manque le contrechamp qui ferait la différence : la France d'aujourd'hui. Si Mitterrand n'est plus de son temps à l'heure d'une Europe qui continue sans lui, si une certaine idée d'incarnation nationale meurt avec lui, que reste-il à filmer de sa présence pour Guédiguian ? Une solitude. Lui a choisi de la montrer devant la mort plutôt que de la mettre en scène devant le peuple.
C'est là que le bât blesse. Toutes les scènes qui ne le montrent pas, plutôt que d'inscrire un hiatus, une manière de continuer malgré son absence, n'arrivent jamais à s'en détacher, l'invitent au contraire, en permanence, à la table des familles, à l'ombre des couples. Nul espace de répit, (quand bien même cela est plus d'une fois évoqué), ne vient renvoyer la figure de Mitterrand à son dépassement par l'Histoire, à cette incarnation désormais impossible dans l'ordre du monde ; ce monde qui pourtant n'en veux plus, par la force des choses. Le véritable entre-deux à filmer, c'était bien celui-là : pour Mitterrand, être encore la France quand la France n'est plus ; et pour Guédiguian faire de ce corps mourant le lieu d'une transition. En lieu et place, le film accompagne son objet jusqu'à la fin : au dernier plan, une fenêtre, et une contre-plongée sur l'arbre qui a tant de fois servi d'emblème à l'expression de la " force tranquille " ; une manière d'ouvrir sur l'extérieur, sur l'après, sans daigner le regarder en face. Alors le film s'arrête et sans doute, il reste à faire.
Sébastien Bénédict
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