Le Retour
Réalisé par Andrei Zviaguintsev
Avec : Vladimir Garine, Ivan Dobronrarov, Konstantin Lavronenko, Natalia Vdovina
Scénario : Vladimir Moiseenko, Alexandre Novototski
Titre Original : Vosvrascenie
Durée : 1:46
Pays: Russie
Année : 2003
Site Officiel : Le Retour
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Etrange road-movie intemporel, Le Retour du russe Andreï Zvyagintsev laisse dans l’esprit des cicatrices profondes qui auront du mal à se refermer, tant le spectateur, à l’instar du jeune Ivan, se trouve désemparé, comme après la visite furtive d’un fantôme. Aux questions posées tout au long du film, dont on attend unanimement les réponses, en vain, le père, personnage sorti de nulle part, se dérobe sans prévenir. Aux frontières du fantastique, ce drame inspiré hante le cœur, après l’avoir meurtri. Bouleversant.
Le Retour s’ouvre sur des plans sous-marins, où, à travers la vase en suspension, on finit par distinguer l’épave d’une barque. Le corps d’un jeune garçon transperce alors, avec fracas, la surface de l’eau. Du haut d’un plongeoir au bout d’une jetée, des enfants se défient, éprouvent leur virilité et leur courage en sautant dans le vide. Parmi eux, Andreï et son petit frère Ivan, qui vivent seuls avec leur mère et leur grand-mère. Seul Ivan, terrifié, paralysé par le vertige, reste cloué au sommet, grelottant, incapable du moindre mouvement, abandonné par ses camarades, uniquement secouru par sa mère qui escalade l’échelle pour le rassurer. Cette première séquence porte en elle le drame du film tout entier. Elle symbolise le rapport de dépendance/délivrance qui unit des enfants à leurs parents. Dans la dernière partie, Ivan défie à nouveau le vide, mais cette fois-ci, c’est son père qui vient le chercher. La barque que l’on voit au générique, quant à elle, n’est autre que celle du passeur, celle qui emporte vers l’au-delà les morts, mais le passeur est également celui qui transmet, en l’occurrence le père. Il affranchit ses fils de son poids en allant s’engloutir dans les flots, il lègue à l’un sa montre, symbole du temps qu’il leur reste à vivre sans lui, et à l’autre la liberté et l’âge adulte.
Cette structure circulaire, joue sur les effets de miroir, d’échos et de résonances, et vient démentir la linéarité apparente de l’intrigue qui aurait pu se résumer en un long périple en voiture, puis en barque. De la maison familiale à l’île mystérieuse, véritable demeure du père. En somme, Le Retour n’est pas tant celui du père dans la vie de sa famille, mais le sien dans cette île, endroit où il garde, enfermé dans une boîte, le secret de sa vie, voire de sa mort. Plus que Le Retour du père, il s’agit de sa réapparition. Voire de son apparition, au sens spectral du terme. Témoin cette troublante scène où la mère reste seule à l’image, visage triste isolé par l’éclairage, tandis que la présence de son mari dans la chambre ne se manifeste que par le son de l’eau qui coule d’un robinet, hors champ, puis par une ombre indistincte se couchant silencieusement près d’elle, en arrière-p lan, sans qu’aucun contact charnel ne soit esquissé. Laconique, il intimide. Une brute dont la force à peine retenue cache maladroitement une souffrance et un drame personnels profonds, un secret qu’il emportera dans sa tombe. Si les questions des enfants restent tout du long du film sans réponse, c’est parce que personne n’est en mesure d’y répondre, pas même le père, déjà mort. A ce titre, la première image qu’il nous offre de lui n’est autre que la préfiguration de son cadavre. Un corps sans vie sur un lit, dans la même position que celle que lui font adopter ses fils dans la barque funéraire, à la fin du film, drapé de gris, comme déjà avalé par les vagues. Le voyage qu’il entreprend avec ses rejetons les mène au pays de la Mort elle-même : une île déserte, flanquée d’une maison en ruines au milieu de la forêt, dont le sol, qui renferme le coffre secret, grouille de vers ; plus loin, l’épave d’un navire, à l’intérieur duquel un poisson enfermé, semble devoir sa survie a ux membres d’équipage dont il s’est sans doute repu. Quant à lui, guide inquiétant avare d’explications et d’histoires, il se contente de transmettre sa force. Pour le reste, il n’a jamais été là.
Le film de Zvyagintsev caresse savamment les frontières du fantastique, instaurant un climat inquiétant, sans qu’aucun danger imminent ne vienne pourtant menacer les protagonistes. L’arrivée sur la plage de l’île s’effectue dans le brouillard, avec les personnages en contre-jour, encapuchonnés, fantômes d’eux-mêmes. Lorsque les fils, à la recherche de vers pour pêcher, s’approchent de la maison d’où le père déterre son secret, celui-ci disparaît littéralement, ne laissant qu’un trou béant. Il figure sur la vieille photo qu’Ivan garde dans son grenier, mais pas sur celle, identique pourtant, que les enfants découvrent dans sa voiture, après que la mer l’a emporté. Au générique de fin, les sublimes photos signées Andreï (Vladimir Michoukov en réalité) ne compte qu’une seule du père, toujours endormi sur la banquette arrière. Le diaporama se termine par une vieille photo de la famille , à l’époque où les enfants n’étaient alors que des bébés. Pour ainsi dire, la trace que les fils garderont de leur père réside en eux-mêmes, dans leur cœur, dans la force qu’il leur a transmise durant ces quelques jours. Nulle trace de cette force sur les clichés, qui se contentent de représenter un père appartenant au passé ou au royaume du rêve et de la mort.
Le jeune et brillant réalisateur Andreï Zvyagintsev réalise avec Le Retour une œuvre virtuose et rafle, au passage, un Lion d’Or à Venise, on ne peut plus justifié. Du grand art.
Moland Fengkov
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