critique de Le Vieux Jardin
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Voici donc l'histoire - politique, sentimentale et philosophique - d'un peuple réduite à l'échelle humaine ; la clandestinité d'un leader étudiant (Hyun-woo) après le massacre du soulèvement de Kwangju. Les circonvolutions désancrées de l'activiste le mènent dans des montagnes rocailleuses auprès d'une peintre (Yoon-hee) pour quelques mois d'idylle amers avant de revenir Séoul et accompagner dans l'opprobre ses anciens compagnons. Il sera arrêté, torturé, oblitéré par une machinerie retorse ne le libérant que dix-huit années plus tard alors que sa compagne vient de s'éteindre victime de maladie. Le fragment temporel indolent de la captivité - où Hyun-woo et Yoon-hee évoluent dans des dimensions claquemurées (arrière et premier plan) - infuse la texture spectrale et cynique du film. Le cinéaste choisissant de progresser par bouffées abruptes seules capables de concilier fugacement les deux êtres. Ces tragédies frustrantes sont autant de spasmes d'amour visant, autour d'un corps absent, à reconstruire les chairs de psychés à la dérive. Soit circonscrire les frontières physiques de l'œuvre - le sexe se trouvant éludé pour se muer en sésame, une jetée de béton cinégénique entre esprit et enveloppe. La détumescence du mythe révolutionnaire due à ce semblant d'incarnation fonctionne à plein tant la présentation des militants égarés dans leur promenade apostrophe un clivage abscons des consciences : la résignation implacable à un destin funeste inhérente à la croyance sacerdotale de l'échec programmé des combats. La manière de détourner les poncifs notamment la pluie gorgée de banalité parachève l'écoulement lamellaire d'une intrigue peu préoccupée par des modalités structurelles ou dramaturgiques eu égard à la juxtaposition des visages et des paysages dans une fixité entêtante - acteurs principaux âpres et majestueux à la fois. Se dégage une déchirante sensation de pesanteur (The Unforgiven) caillant un bréviaire mort-né relent épuré du vibrant Peppermint Candy. En adaptant le roman de Hwang Sok-yong, Im Sang-soo n'oublie pas ce qui rongeait Girl's Night Out ou Une Femme Coréenne : le rôle somatique de la matrice féminine et sa puissance érotisante au sein d'une société parlée. L'errance du corps ne saurait persister dans cet imbroglio de présent improbable et de passé morbide ainsi, sans hasard, l'esthétique féminine s'approprie chaque recoin d'une nature abandonnée, d'écoles dévastées, de parvis souillés pour conférer à l'ensemble une nouvelle unité. Cette propension culminant avec le passage de flambeau entre le neurasthénique anarchiste et sa compagne piégée à l'extérieur qui insuffle un coup de fouet au long métrage qui à force de cultiver un lent délitement risquait de s'y enliser. Communication entravée de corps ostracisés, le film s'ingénie à brosser la désespérance et la transcendance : les charges impudiques briguées par la figure féminine grâce à son enveloppe souple et non-soluble. A ce titre la surimpression du jeune étudiant paumé puis son passage par Yoon-he et l'orgasme pour surseoir au sacrifice est édifiante puisqu'elle interrompt le cycle impavide du martyr. Ainsi les apparitions des mères sont autant de perles de rosée d'un matin calme chérissant un fragile et heurté équilibre : la déconstruction inique du singulier (destin) pour la recréation ensemencée de plénitude du tout (famille).
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