critique de Loft
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Avec ce nouveau film l'admirable orfèvre Kiyoshi Kurosawa s'ingénie à disséquer et entremêler, sans suffisance ou maniérisme, les mécaniques - de ruptures - de tous les genres qu'il côtoyât (fantastique, bluette, thriller…). Et Loft de devenir à mi-parcours une sorte de Séance au carré où les sourdes fêlures mutiques des représentations fantomatiques se diffusent dans des bourrasques d'amour issant tandis que les spores grotesques et indiscernables du drame psychologique se délaient en un onirisme âpre, émacié et diaphane. Lorsque le final tragique et grandiloquent se déploie le cinéaste enjoint le spectateur à une déclamation ampoulée qui parachève sa sidérante et ostensible prospection. Indicible et vacant détraquement d'une dramaturgie claquemurée qui, outre embrasser la sempiternelle hantise de l'inspiration, nous embourbe lentement dans une expérience sensorielle viscérale. Pour soutenir ce syncrétisme dépité investissant l'esprit pour expulser raison ou concret, le réalisateur s'appuie sur une science ineffable du cadre déséquilibrant les perceptions (appartement, corridors, corps…). Voici une stase où les perspectives s'infléchissent dès la première image où nous fixons le reflet de l'héroïne se mirant en une posture de trois-quarts. En niant ainsi la transitivité de son récit - dispositif intriguant qui, outre sa frontalité, double chaque prise de vue classique d'un filmage en DV légèrement différent afin d'agencer des images imprégnatrices : désynchronisées et gigognes - Kurosawa piège ses protagonistes (déjà dans Cure les cellules - mentales - abondaient) tels des idéogrammes-insectes dans une architecture toute de pesanteur (Reiko apposée au cube de béton). Visages livides contre présence diffuse de l'environnement, voici un nouveau formalisme du champ-contrechamp qui flirte avec les entrailles ontologiques (valise oubliée), la vidéo scrutant ce cloaque peut alors capter la dégénérescence d'une matière paradoxale, biliaire et séminale. La tension simple et torve qui soutient les spasmes dépressifs de la contemplation pastorale ne doit rien aux versants dogmatiques de la métaphysique extatique de Charisma. Bien plus timoré est ici le constat sociétal de l'auteur entre orgueil marécageux, consumérisme culturel et autisme des sentiments. Ce qui aiguillonne l'œuvre n'est autre qu'un naturalisme édifiant et étonnamment décalé où le vent se fait suaire puis incubateur d'une parole signifiante - tandis que les paupières se froncent, les langues se délient entre les êtres énamourés. Définitivement Loft est une ode métaphorique à l'imaginaire rural nippon, entre motifs ectoplasmiques brumeux, blêmes relents lacustres de jeunes femmes suppliciées, lumières déclinantes pourfendant les masures et bruits réverbérés d'une vacuité sanctifiée. Une dérive automnale et idiomatique certes desservie par un propos léthargique confus ou des acteurs atones - seul le visage de Miki Nakatani (Ring et Ring 2) infuse la montée d'un désir dévastateur - mais où la déshumanisation est palpable pour des automates désarticulés et hagards - l'intrigue rebondissant avec l'apparition du fantôme lorsque Reiko repose dans les déchets comme une ordure désormais obsolète. Loft se fait ébauche névrosée et visqueuse toute entière vouée à la fracture des cœurs et des destinées grégaires. La confrontation lancinante du script à l'étuve splendidement troussée qui l'enserre ne doit pas résoudre le spectateur médusé à la désaffection mais bien au contraire l'amener à ébranler les limons de son regard afin de se repaître d'inquiétants et vertigineux augures. Reste, pour poursuivre ce périple défricheur, à y associer une consistance idoine.
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