Scénario : Jonathan Nossiter
Durée : 2:39
Pays : France
Année : 2004
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Armé de sa caméra numérique et d'une affabilité à toute épreuve, l'iconoclaste Jonathan Nossiter signe un documentaire édifiant sur le commerce du vin, à l'échelle de trois continents et sur fond de mondialisation.
Oenologue avisé, Nossiter ouvre les portes de sanctuaires vierges de tout regard extérieur, s'invite chez les tout-puissants milliardaires californiens ou florentins, se rapproche de « stars » du vin, influents critiques ou redoutables négociants.
La vraie réussite de ce documentaire fleuve tient en la capacité de l'aimable Jonathan Nossiter à faire jaillir l'implicite. Admis dans des cénacles très fermés, Nossiter gagne la confiance de ses interlocuteurs. En terrain pacifié, la parole se libère jusqu'à son point de non-retour. Et c'est bien tout ce qui échappe aux protagonistes, cette part d'inconscient, qui constitue le sel de Mondovino. Par exemple, la famille américaine Mondavi, convaincue de détenir la vérité, emploie une main d'œuvre mexicaine, à qui elle offre des tee-shirts et des casquettes, selon les années et leur travail. Attention, le paternalisme a des limites !
La séduction participe des rapports entretenus entre l'interviewer et les protagonistes. Tous, à de rares exceptions près (comme l'émouvante veuve qui a planté sa vigne, dans un acte d'amour et de reconstruction de soi), jouent un jeu de dupes. De Michel Rolland, l'avide consultant, aussi séducteur que roublard, en passant par le critique George Parker, véritable ayatollah du vin, décoré par le Président Chirac et estimé par les plus grands. La visite chez Parker vaut son pesant de cacahouètes. Comment cet expert émérite, doublé d'un esthète, peut-il vivre dans un intérieur aussi kitsch, colonisé par une légion de bouledogues, dont la gueule s'affichent sur les murs de la maison ? Même constat de mauvais goût dans les bureaux de chez Mouton Rothschild, aux visuels publicitaires plus que douteux.
Peu à peu, Nossiter, sans se départir de ses bonnes manières, donne à voir un envers du décor amer. Et de dénoncer en douceur, la collusion entre les différentes instances qui régissent le marché. Les producteurs locaux, dont certains restent attachés aux méthodes artisanales, ne peuvent résister aux multinationales, dotées de moyens de production plus modernes. Les appellations contrôlées se battent contre des marques de vin fabriquées de toutes pièces.
Si le vin est un symbole de la civilisation occidentale, aujourd'hui la recherche de profit l'emporte. Que reste t-il de l'âme du vin, telle que la définit Aimé Guibert, producteur dans le Languedoc ? « Le vin, c'est une relation quasi religieuse de l'homme avec les éléments naturels. Avec l'immatériel. C'est un métier de poète de faire un grand vin ». Et de conclure tout naturellement que le « vin est mort ».
Et le spectateur de boire jusqu'à la lie ces paroles impertinentes, poétiques, philosophiques. En effet, le projet de Nossiter pêche pas sa durée, soient presque trois heures d'interviews. Mondovino aurait, à coup sûr, gagné en force si Nossiter s'était résolu à élaguer son film.
En dehors de son côté fleuve, ce documentaire amène une réflexion sur la civilisation. Hubert de Montille, producteur de Bourgogne, affirme que « où il y a des vignes, il y a de la civilisation. Il n'y a pas de barbarie ». On aimerait partager cette vision idéale, mais aujourd'hui, il semble bien que les invasions barbares aient commencé.