Ne touchez pas la hache movie review DVD critique de Ne touchez pas la hache



 

 



critique de Ne touchez pas la hache

Ne touchez pas la hache

:. Réalisateur : Jacques Rivette
:. Acteurs : Jeanne Balibar, Guillaume Depardieu
:. Scénario : Pascal Bonitzer
:. Durée : 2:16
:. Année : 2007
:. Pays : France


Armand de Montriveau, général français, débarque dans une île espagnole lors de l'expédition française pour rétablir l'autorité de Ferdinand VII. C'est dans le monastère qu'abrite cette île qu'il découvre que sœur Thérèse est la femme qu'il recherche depuis cinq ans. Il obtient l'autorisation de la voir en présence de la mère supérieure. Cinq ans plus tôt...

L'histoire se passe sous la Restauration. Dès leur première rencontre, le général Armand de Montriveau tombe follement amoureux de Antoinette de Navarreins, coquette parisienne et épouse du duc de Langeais. Cette dernière s'amuse à le séduire mais se refuse à lui. Comprenant que la duchesse manœuvre et ne cèdera jamais, Montriveau décide d'ignorer son aimée et d'organiser sa vengeance...

Le nouveau long-métrage de Jacques Rivette est une adaptation de La Duchesse de Langeais d'Honoré de Balzac. Dès le départ le metteur en scène français a souhaité rester fidèle au texte, en s'emparant des dialogues de la nouvelle tel quel. Ce qui l'intéressait c'était, comme il le rappelle, de transposer l'écriture de Balzac en termes cinématographiques. Et quand Rivette déclare que c'est l'écriture ce n'est pas le style mais bel et bien le texte, les mots qui composent l'œuvre de l'écrivain français qui le préoccupait. Dès lors la transposition va à la fois prendre la forme du texte littéral des dialogues déclamés par les acteurs, puis la forme du carton reprenant des passages du livre nous prévenant de ce que nous avons vu ou bien de ce que nous nous apprêtons à voir. C'est donc une adaptation proche et très fidèle que nous propose ici Jacques Rivette.

Ce parti-pris dans la manière de raconter cette histoire d'amour va faire naître une certaine forme de sécheresse dans le récit. Une austérité qui, loin d'empêcher le film de prendre toute sa mesure, va jouer comme une sorte de catalyseur. Les petits cartons assez brefs fonctionnent comme des relais, suspendent ou accélèrent le temps, et rendent fondamentalement le montage du film limpide. Ainsi le récit semble obéir à une mécanique impitoyable, avançant sans que rien ne puisse pouvoir l'arrêter. Nos personnages sont emportés dans ce flux et paraissent condamnés à un destin sordide. Le sort de cette histoire d'amour entre ce marquis et cette duchesse paraît doublement scellé et voué à un inévitable échec. D'une part parce que le film débute cinq ans après leur rencontre quand la duchesse de Langeais fait alors partie d'un monastère et qu'elle s'est donc définitivement refusée au marquis, et que rien ne sera plus possible entre eux. Puis d'autre part en raison de cette logique implacable à laquelle est soumis le film quand il décide de nous faire vivre ce que les deux personnages ont vécu.

Cette histoire d'amour impossible prend sa source dans un contexte politique particulier où les classes sociales sont clairement définies. L'époque n'invite nullement à la mixité sociale. Tout est parfaitement hiérarchisé. Le quotidien de la duchesse se résume à une succession d'ordres lancés à son valet, lui demandant de mettre plus de lumière, de raviver un feu de cheminée qui s'éteint, etc. Elle passe ses soirées à danser des quadrilles dont la chorégraphie est d'une précision géométrique. Quand elle se déplace, elle fait preuve d'une légèreté papillonnante. De son côté le marquis a quelques batailles derrière lui. Sa démarche cache vraisemblablement une blessure de guerre. Sa voix raillée, son air renfrogné et son allure de mercenaire l'opposent à tous ces hommes que la duchesse ne cesse de côtoyer à longueur de soirée. Si bien que la femme que le marquis convoite tant va l'utiliser comme un vulgaire raconteur d'histoire. Ce marquis en train de narrer ses faits d'arme est assimilé à une forme d'exotisme dans la vie bien organisée et convenue de la duchesse de Langeais. Elle lui donne rendez-vous tous les jours à la même heure pour qu'il lui raconte la suite de ses aventures. Le marquis s'y rend à chaque fois, et toujours dans l'espoir de la faire chavirer. Mais Antoinette de Navarreins est promise au duc de Langeais et continue de refuser les avances de Montriveau. Jusqu'au moment où le rapport s'inversera, où c'est la duchesse qui, souffrant de l'absence volontaire et prolongée du marquis, met tout en œuvre pour le retrouver. Toute la famille et l'entourage personnel d'Antoinette vont tenter de l'en dissuader afin de ne pas salir l'honneur des siens.

Cette inversion des rapports de force où l'un tombe amoureux quand l'autre s'en désintéresse s'inscrit directement dans la continuité de l'œuvre de Jacques Rivette dont la particularité a toujours été de mettre en jeu des énergies dissemblables, qui se chassent entre elles. Ainsi le naturalisme typiquement balzacien de certaines scènes fait place, de temps à autre, à une forme de mysticisme singulier. Ce face-à-face entre Antoinette de Navarreins et le marquis de Montriveau prend la forme d'une relation vampirique où chacun à son tour irait puiser dans l'autre l'énergie suffisante pour le posséder, quitte à le perdre. Une fois de plus, cela permet à Rivette de filmer ce qu'il n'a jamais cessé de faire : la lumière. Cette lumière étrange et inquiétante dont les chandeliers placés aux quatre coins de la pièce sont comme autant de points de vue extérieurs rendant vulnérables nos deux protagonistes. Il y a cette magnifique scène où la duchesse se prépare à recevoir Montriveau. Elle s'installe sur un divan sous une lumière blanche et dévorante. Ses pieds sont nus et clairement exposés. Le marquis, une fois assis à ses côtés, s'attardera longuement sur les pieds de la duchesse agissant sur lui comme un sortilège démoniaque. La lumière chez Rivette fragilise les corps, les expose aux plus folles tentations, transforme les individus. En cela son cinéma est très nervalien dans sa capacité à rendre la réalité brute plus fantasmagorique. Comme souvent un film de Rivette est une expérience et celle-ci est magistrale.


  Julien Dufour


    


MAILING LIST
Recevez nos critiques par e-mail
Gratuit & sans spam
 
| Info Plume Noire | Contacts | Publicité | Soumettre pour critique | Rejoindre la Rédaction | Chiffres-clés | Charte | Questions |
Boutique | Work in Hollywood | Plume Noire in English [en Anglais] |

Like Us On Facebook