Odete
Réalisé par Joao Pedro Rodrigues
Avec : Ana Cristina De Oliveira, Carloto Cotta
Scénario : Paulo Rebelo, Joao Pedro Rodrigues
Titre Original : Odete
Durée : 1:41
Pays : Portugal
Année : 2005
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Demandez à un cinéphile quels sont ses films préférés : en bonne place parmi son panthéon intime, vous avez de grandes chances d'y trouver Vertigo. Tout y est. Deux images finissent par se rejoindre dans l'intime tragédie d'un deuil impossible, deux femmes en une s'offrent à l'amoureuse orchestration d'un metteur en scène fou d'amour.
Beaucoup ont vu là le lieu du cinéma, son point limite. Y retourner, c'est prendre un risque. En d'autres termes, soumettre l'image à l'épreuve de la croyance. De la foi. Là où le mensonge nous parle autant que le vrai : l'image devient icône, génératrice de toutes les propagandes, de tous les désirs aussi, et sans doute, c'est bien là que vient se dire l'amour fou. La vérité, s'il y en a une, n'est dès lors plus dans l'image mais dans celui qui la regarde. Elle s'efface dans la commotion, la déchirure qu'elle provoque, devient ce trou par où il faut descendre pour peut-être n'en plus revenir.
Ce que fait Odete, l'héroïne du très beau second film de Joao Pedro Rodriguez : elle descend dans son amour perdu, dans le trou, s'effondre sur le cercueil d'un homme qu'elle n'a pas connu, chargé de remplacer celui qui l'a quittée. Elle veut l'aimer mort, son homme, l'aimer à ce point qu'elle deviendra lui, remplaçante à son tour dans le cœur du véritable amant, laissé en marge de son deuil pourtant réel par un deuil plus puissant encore, un deuil mensonger d'abord, non moins vrai pour finir : Odete ne s'illusionne pas, pourtant elle le fait exister, son amour hors normes, elle y croit, s'engrosse même, dans son désir de mère, à vouloir de lui un enfant. Que l'homme qu'elle s'est par hasard choisi en aimait un autre importe peu. La disposition sexuelle s'efface au profit de l'amour seul, un amour sans corps mais sûrement pas sans image.
C'est le secret des plus beaux mélos, lorsqu'ils vont bien au-delà du vraisemblable, lorsqu'ils se cognent au mythe ; pour ça, il faut oser. Mieux : encore une fois, il faut croire. Se faisant, risquer le ridicule, s'y fondre et tenter par lui de toucher au sublime ; ça demande des efforts, il faut enjoindre le profane à entrer en religion, ni plus ni moins, une religion inventée par et pour le film, une religion sans Dieu : ici, il n'y a rien derrière l'icône, rien derrière le visage de l'être aimé ; c'est l'icône seule que l'on adore, où l'on aime moins l'être que son image, cette photo du jeune homme trop tôt disparu qui orne la pierre tombale, à laquelle Odete inlassablement rend hommage.
Imaginez qu'au plus fort de sa passion amoureuse, Scotty (James Stewart), décide de devenir Madeleine (Kim Novak), l'objet de son obsession. Odete, film moins " pédé " que résolument transsexuel, voire hermaphrodite, est une transposition de Vertigo, qu'il déplace et prolonge ; où Scotty reste en dehors, Odete choisi de se fondre dans l'image adorée. Sa figure est celle de la translation, d'un passage qui du corps fait son lieu, corps sans affectation sexuelle précise au fond, puisque les deux sexes se valent, et ne touchent en rien à l'identité de chacun. Odete n'aura recours qu'au déguisement pour devenir celui qu'elle a choisi arbitrairement d'aimer : elle se coupe les cheveux, revêt les habits du mort, sa bague de fiançailles volée sur le catafalque ; pour autant, elle reste femme, ce qui ne l'empêche nullement de devenir celui qu'elle veut. C'est le regard de l'autre, le sien aussi bien, qui seul fait la transformation, amène la croyance à terme. Il est toujours bon de rappeler ce qui meut la croyance : le désir. Ce n'est pas le moindre mérite d'un film qui pour finir vient faire un tour du côté des fantômes, lesquels regardent paisiblement ceux qui ont composé avec leur douleur et réappris à vivre.
Sébastien Bénédict
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