critique de Paprika
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Film exigeant et kaléidoscope hallucinatoire, défiant (subtil art du montage) et épuisant (les perceptions se meuvent en divagations par l'accumulation de formes ou couleurs mutantes) la logique du spectateur pour mieux endormir sa méfiance et le précipiter dans un vertige mnémonique polymorphe, Paprika se déploie par variations opprimées (entrelacs d'un scénario ne semblant jamais avoir la place suffisante pour se déployer) sinon compulsives. Le résultat est un ovni ubiquiste, chamarré et profondément perturbé qui s'attelle à la synthèse du système ambitieux, sémiologue et préhenseur développé depuis ses débuts par Satoshi Kon à quelques encablures des mastodontes Oshii ou Otomo. Nous savons depuis Perfect Blue et Millennium Actress que chacune de ses œuvres - y compris l'iconoclaste série Paranoïa Agent - suit avec angoisse le même paradigme : un hymne presque métaphysique à une matière cinématographique imprimant l'inconscient de chaque individu autant que celui du collectif. Et la façon dont il s'évertue ici - sur le canevas du roman de Yasutaka Tsutsui - à déconstruire chaque parcelle de la séquence d'ouverture avec son héroïne en groom d'ascenseur glosant les plus infimes inspirations déstabilise durablement le visionnant pris entre deux régimes retors et émollients : modalités disjointes digérant consciencieusement l'espace indistinct offert, organiquement, rythmiquement (apesanteur contre ondulation sarcleuse). C'est précisément le nœud gordien de Paprika que de représenter les strates copulatives de la réalité avec le rêve délirant et fictionnant - omniprésence de la volonté de mise en scène - pour capter, outre la manière dont ils se nourrissent et se débordent l'un l'autre, l'appauvrissement amer d'un imaginaire, d'icônes à la beauté galvaudée. Car dans cet opus boursouflé rien de nouveau n'est créé, il ne s'agit que de circulation opaque et d'agglutinations discordantes. Ainsi deux tempos - altérité et dualité les deux mamelles de l'otaku - s'amadouent, s'investissent, se dilatent ou se vagissent. Comme les héros, ils revêtissent plusieurs formes entre immanence et transcendance, onirisme et ontologie, 2D et 3D (sublime générique de début). Au milieu de ces frémissements moribonds assertions et références graphiques abondent, entre autocitations, codes culturels et mythes helléniques en diable. Plastiquement le long métrage est une expérience euphorisante et échevelée du fait d'une virtuosité technique ébouriffante et d'un design désarçonnant se colletant aux limites du dessin animé. La voix de Megumi Hayashibara, monument du doublage nippon, s'immisce dans ce singulier rapport au corps (handicapés, objurgués) et à l'enfance qui émaille le final. Quand les bambins rêvent de se muer en une enveloppe séduisante et amène pour les préserver de la troisième dimension, que les bribes de quotidien se révoltent - façon Kurosawa ou Nakata - et que l'écluse séparant deux mondes clivés, l'Internet, devient le refuge des identités ou désirs refoulés c'est un peu de contrôle qui s'enfuit et, presque par convection, l'image se fait autonome puis menaçante. Et l'encorbellement sonore de sceller l'écrin d'un dédale esthétique pour un tableau ogre et hybride qui semble pouvoir proliférer à l'infini, dans l'envers de notre souvenir.
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