Avec : Andrej Shetinin, Alexei Nejmyshev, Alexander Rasbash, Alexandre Sokurov
Scénario : Sergey Potepalov
Titre Original : Father And Son
Durée : 1:24
Pays: Russie
Année : 2003
Site Officiel : Père et fils
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Il serait temps d'arrêter de réduire le cinéma d'Alexandre Sokurov à sa lenteur et à son formalisme, pour enfin considérer le cinéaste russe comme un réalisateur passionnant, à l'exigence morale, intellectuelle et esthétique si forte qu'elle déborde le cadre de nos représentations, pour le coup plus cloisonnées que son cinéma. Loin donc de l'hermétisme qu'on lui prête, le cinéaste signe ici le deuxième volet de sa trilogie, amorcée avec Mère et Fils (1997).
Sokurov ne s'enferre pas dans un conceptualisme rigide, puisqu'il parvient à surprendre dans Père et Fils par sa capacité à renouveler son cinéma. Ici, point de focales déformées à tout bout de champ (Sokurov les utilise nettement plus parcimonieusement que dans son précédent film). De même, une lumière splendide irradie les plans qui imposent leur souveraine majesté, loin des atmosphères limoneuses des films antérieurs. La musique électronique fait même son apparition, sur des scènes au demeurant très dialoguées, ce qui achève de corroborer l'impression d'un regard régénéré, galvanisé par les expériences esthétiques passées.
Père et Fils, nourri de références picturales et littéraires, s'ouvre sur une étreinte. Ce corps à corps troublant s'achève par un gros plan sur une bouche distordue par une jouissance pleine d'effroi. C'est Le Cri de Munch.
Cette séquence liminaire nécessite de s'affranchir des lois morales érigées par notre culture pour voir, au-delà de l'inceste, l'accomplissement d'une relation fusionnelle. Sokurov tend à l'universel : transmission, initiation douloureuse à l'amour, horreur de la naissance participent de la richesse des thèmes que le cinéaste aborde.
Les deux hommes sont tout à la fois frères, amis, amants, unis par un lien indéfectible. Leur faible différence d'âge accentue leur proximité. Le fils voit, en son père, un possible reflet de sa propre évolution. Quant au père, sa progéniture est un miroir tendu sur sa prime jeunesse. A cette interprétation donnée par le réalisateur lui-même, on lui substitue une autre hypothèse qui épouse les contours flous du rêve, prégnant dans ce film, ô combien poétique.
Le père serait décédé et existerait, dorénavant figé à jamais, dans le souvenir de son fils. Le jeune garçon est en effet doué de la fulgurante capacité de se projeter en esprit dans des décors divers, artefact vivaces, issus de son imaginaire fertile. Ses interlocuteurs peuvent l'y rejoindre, par la simple force de son verbe. En cela, le fils est un poète. Sokurov invente même le champ/contrechamp avec le spectateur, invité à investir le cadre sur proposition du personnage.
Sokurov raconte une histoire éternelle. Pour servir son propos, il plante son décor à Lisbonne qu'il définit lui-même comme une ville unique, quintessence de la culture européenne. Le Portugal, aux ruelles fantomatiques, dialogue avec les décors de Saint Pétersbourg, plus ancrés dans la réalité. De nombreux symboles figurent le passage entre l'état de rêve et celui de la conscience, comme par exemple cette planche jetée entre deux appartements.
Pour peu qu'il accepte le trip poétique que lui propose Sokurov, mille beautés récompenseront le voyageur.