critique de Shanghai Dreams
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Avec ce récit amer inspiré de son expérience le réalisateur de So Close To Paradise et de Beijing Bicycle effectue un véritable tour de force en contournant en permanence la censure pour aborder avec justesse les désillusions languides de ses contemporains. Il use ainsi d'ellipses astucieuses, répète à l'envi les mêmes motifs impavides jusqu'à l'induration et le délitement ou s'emploie à détourner imperceptiblement les symboles de propagande pour enfin distiller d'édifiants plans de césures - Qing Hong observant le drapeau national fendre l'azur par exemple. En cinéaste de la sixième génération, il affiche dans l'attente - entre tradition et désir de modernité -, la clandestinité - échapper aux foudres paternelles et politiques - et l'enfermement - solitude et endoctrinement - son terrain dramaturgique de prédilection. Mais contrairement aux dispositifs DV, se colletant à une rêche réalité, lesquels forgent la cinématographie chinoise actuelle, Wang Xiaoshuai renoue avec un académisme austère et orfévré, en traçant au cordeau des cadres répressifs - devenus réfractaires à toute passion - et en composant ses images avec une rigueur esthétique frôlant l'aporie tant la perfection se noie dans un naturalisme en creux (dénuement à peine esquissé des lieux). Pourtant le tissu du long métrage se révèle radicalement organique (talons magnétiques agonisant au sol durant l'agression). Dès le second plan, après le lent parcours d'un corridor, la femme pourfend le cadre, offerte. À la fulgurance de cette incursion gymnaste répond immédiatement un environnement mécanique et tristement masculin - l'emboutissage s'envisage comme oblitération constante et bientôt viol des consciences. D'où une absence totale d'issues - la dernière image ne semble pas vouloir laisser la camionnette s'éloigner - qui se voit stigmatisée par la géographie interlope du lieu : la multiplicité des pistes et des encorbellements d'escaliers ? Des leurres étouffants d'une scène autarcique, bornée et concentrationnaire (The World, All Tomorrow's Parties…), inéluctablement bouclée sur elle-même et n'octroyant que de vaines circonvolutions. Et l'auteur de singer alors les dérives du régime en étirant désespérément - sur la hauteur - l'espace proposé, comme pour endiguer l'hémorragie de sa sève et de ses idéaux trépanés (pluie incessante ou gouttes de sangs perlant au poignet d'une jeune femme anéantie). Les éléments verticaux abondent (parapluies, haies, barreaux, fagots…) dans cette tragédie des espoirs contrariés. Certes, il s'agit de représenter l'ensemencement intempestif, souillé et irrépressible par la norme masculine de tout terreau féminin - culminant avec le corps de l'actrice Yuanyuan Gao : famélique, cheveux courts, manchons et col roulé :elle en deviendrait presque phallique. Mais ils ont surtout pour but d'asseoir un traité sur la dualité entravée d'un exil perpétuel. Le cinéaste appose ainsi intérieurs et extérieurs en prenant soin - tantôt par pudeur, tantôt par cynisme - de minimiser, grâce à la distance, les glissements des uns aux autres pour en brocarder la dislocation. Il en va de même des personnages désemparés - choix entre soumission et désobéissance, de la chosification ou de l'incarnation - qui peinent à habiter concomitamment le cadre et dont le dialogue s'avère de plus en plus délicat. La métaphore trouve son apogée dans la peinture de l'enracinement et du déracinement : les êtres s'épanouissant sur une terre inhospitalière en s'élançant vers le ciel - littéralement, ils montent vers le savoir, l'amour, l'amitié, le sexe et surtout Shanghai qui cristallise toutes les appétences. Au centre des ces turbulences évanescentes, le visage passif de Qing Hong. Engourdi et pragmatique voici la radiographie figurative d'un marasme ambiant que rien ne semble plus atteindre ou émouvoir. Pesanteur physique qui ouvre et conclue le film comme un couloir suspendu et infranchissable tant l'inertie plombe les corps et les psychés.
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