Avec : Kohei Fukunaga, Yuka Hyoudo, Naomi Kawase, Kanako Higuchi
Scénario : Naomi Kawase
Titre Original : Sharasojyu
Durée : 1:39
Pays: Japon
Année : 2003
Site Officiel : Shara
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Tourné dans la ville de Nara, ancienne capitale du Japon où Naomi Kawase a passé son enfance, Shara éblouit par sa poésie étrange.
Film bouleversant sur la perte et son corollaire, la renaissance, Shara met en scène une famille d'artisans, dont l'un des enfants disparaît soudainement, au détour d'une rue, comme enlevé par les dieux. Les années passent. Shu ne parvient pas à faire le deuil de son frère jumeau. La naissance d'un autre enfant et pour Shu, devenu adolescent, d'un amour régénèrent peu à peu cette communauté meurtrie.
Dès sa magnifique séquence d'ouverture, le film instaure un climat étrange. Le surnaturel investit d'emblée le cadre, grâce à un long plan séquence, où la caméra, portée à l'épaule, fait planer sur les personnages son ombre inquiétante. Un œil omniscient, appartenant au divin, domine la scène. La caméra marche sur les talons des garçonnets qui s'adonnent avec insouciance au jeu, par une chaude journée d'été.. Ces travellings aériens figurent la présence de l'immatériel. La menace latente trouve son acmé avec la disparition de l'enfant, scène qui frappe par son caractère fulgurant et éminemment anxiogène.
Le film, à la structure circulaire, se referme sur la même séquence. Un cycle s'achève. Si les enfants ont disparu à l'image, la bande son reprend leurs babillages. Le film est définitivement habité par les esprits. Shara est fortement imprégné par le bouddhisme. L'absence de compréhension immédiate des nombreuses références culturelles et religieuses qui émaillent le récit ne nuit en rien à la vision du film, tant ses thématiques sont universelles. Il s'agit avant tout de l'histoire de personnes qui se reconstruisent, après un traumatisme. Du récit mâtiné de surnaturel, on passe à la chronique. Le film s'attarde avec pudeur et sensibilité sur les relations entre les personnages. Afin d'exorciser leurs démons, tous doivent, au préalable, accomplir un cheminement intérieur. Shu se libère peu à peu de sa culpabilité, au contact de Shun, une camarade de classe, aux origines complexes.
Le point culminant du film reste la fête de Basara, où les habitants de Nara s'abandonnent à des danses frénétiques, parés de tenues éclatantes et de maquillages criards. Visuellement à couper le souffle, cette scène nodale demeure l'un des moments les plus forts du film. Kawase filme au plus près ces corps en proie à une transe mystérieuse. La musique obsédante, la saccade des gestes conduisent au climax : une averse d'une violence inouïe déferle sur les danseurs. Libératrice, cette danse fait figure d'exutoire. Les mauvais esprits chassés, la vie reprend son cours.
Le regard du spectateur se retrouve régénéré à son tour par le pouvoir du cinéma de Naomi Kawase, qui déploie sa syntaxe subtile. Cette cinéaste sensible et passionnante mérite plus que jamais d'être suivie.