critique de Shortbus
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Dans une structure chorale, le réalisateur installe une étude de caractères, sensible et débridée. Soit un groupe de jeunes new-yorkais qui s'interroge sur leur sexualité, au lendemain du 11 septembre, dans un pays étouffant de puritanisme. Sofia, sexologue, n'a jamais connu l'orgasme, après des années de mariage. Elle rencontre une dominatrice qui se propose de l'aider dans sa quête sensorielle. James et Jamie, un couple d'homosexuels, veulent s'ouvrir au triolisme pour galvaniser une relation qui bat de l'aile. Sensualité en berne sur fonds de dépression généralisée. Un club, le " Shortbus ", cristallise cette sexualité en crise. Véritable enclave libertaire, ce lieu hors normes réunit tous les personnages qui y apprivoisent progressivement leurs névroses. Ici, on y partouze, chante, discute d'art et de sentiments. Dirigé par Justin Bond, figure de la scène underground anglaise dans son propre rôle, ce décor décadent constitue le pivot d'un récit, versé dans la sentimentalité. C'est là le tour de force de ce grand film néo-romantique. Cru, il n'est pour autant jamais vulgaire. Mieux, il constitue un document rare sur une génération affectivement déboussolée, dont le corps devient le véhicule des émotions et d'un rapport problématique au monde. Non simulé, le sexe s'expose avec un tel naturel qu'on ne saurait voir ici un film pornographique. Si elle est l'enjeu pour ces héros modernes, la jouissance ne concerne pas le spectateur (à la différence du cinéma X), lequel est placé dans la position d'un observateur empathique. L'émotion naît de ce qui est donné à voir, à travers le débordement contrarié puis victorieux des sens : la naissance de l'amour, ni plus, ni moins. La faillite du désir trouve sa très belle métaphore dans une panne d'électricité générale à New-York. Le sexe, comme électricité : voilà donc la source d'énergie d'un film libératoire qui fonctionne à plein régime, de bout en bout. Cameron Mitchell, qui s'était déjà distingué avec Hedwig and the angry Inch, constate à " quel point la phobie du sexe et en fait, la peur maladive de tout ce qui tourne autour, mène directement dans la culture américaine, à la tristesse, aux conflits inutiles et à la violence ". Son film dynamite avec bonheur les barrières assignées par une société pudibonde, le fruit des années Bush au pouvoir. Pour atteindre à une approche si farouchement décomplexée du corps, le réalisateur a travaillé en amont, dans le cadre d'ateliers d'improvisation. Un travail fructueux, tant la complicité manifeste des acteurs à l'écran participe de la réussite d'un film souriant et subversif en diable. C'est simple, on n'a jamais vu ça dans le cinéma américain contemporain ! Shortbus s'impose comme un objet majeur de contrebande, selon une acception lacanienne du terme : " bander contre " l'ordre établi et partant, réhabiliter le plaisir, encore et toujours.
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