Shoujyo, une Adolescente
Réalisé par Eiji Okuda
Avec : Eiji Okuda, Mayu Ozawa, Akira Shoji, Mari Natsuki
Durée : 2:12
Pays : Japon
Année : 2001
Web : Site Officiel
|
|
Dans Shoujyo, Eiji Okuda incarne Tomokawa, un policier dévoyé, un être pathétique et grossier qui utilise sa position privilégiée pour assouvir ses plus bas instincts. Lorsque Yoko (Mayu Ozawa), une jeune fille d'une quinzaine d'années, vient s'offrir à lui, non seulement il n'a aucune hésitation mais tombe amoureux d'elle.
Shoujyo et les mœurs
Pour son premier passage derrière la caméra, Eiji Okuda, a choisi un sujet difficile et scabreux qu'il traite et c'est là la force de son film avec retenue et élégance. Si l'amour entre un homme à la quarantaine passée et une jeune fille est en rupture avec les règles de bienséance de la société japonaise, l'approche sobre et délicate que choisit Okuda, celle d'un amour pur « quasi-adolescent », trouve un écho dans une réalisation esthétisante à l'érotisme raffiné. Plutôt que de s'adonner à une débauche de corps et de profiter de sa jeune actrice, il évite tout voyeurisme inopportun en célébrant la beauté de ces corps mais aussi en s'offrant tout autant qu'elle à l'écran. Ceci lui permet, en tant que réalisateur, de se distancier de son personnage, en tant qu'acteur, et de ne pas faire de son film le simple jouet d'un vieux pervers.
Afin d'accentuer le fossé entre Tomokowa et sa communauté, celui-ci nous est présenté comme un policier véreux traduisant la corruption et la dérive des barrières morales de la société. Okuda évite pourtant de juger son personnage. Il le filme avec une certaine affection et en fait paradoxalement un homme meilleur tandis que sa relation amoureuse avec Yoko bourgeonne. Celle-ci catalyse sa jeunesse : à son contact, et pendant un court moment, il retombe en adolescence et retrouve sa pureté. Le réalisateur n'encourage pas la pédophilie mais montre que l'amour pur va bien au-delà de la différence d'âge. Le fait que Tomokowa ait été l'amant de la mère de Yoko, une quinzaine d'années auparavant, introduit la notion d'inceste et laisse planer le doute tout au long du film.
Un problème cependant demeure dans cette histoire de mœurs ancrée dans la société japonaise. Dans la réalité, une telle relation entre un homme d'age mûr et une écolière serait considérée comme une infraction aux règles et le couple, au lieu de vivre librement son amour, serait inévitablement bannit (d'autant plus que Tomokawa est policier). S'il ne fait aucun doute qu'Eiji Okuda en est conscient, on peut attribuer son choix de passer outre au fait qu'il construit Shoujyo comme une fable, prenant par la même des libertés afin de rendre cette liaison possible.
Okuda flirte ouvertement et dangereusement avec les tabous et c'est sa démarche osée qui élève son film au niveau de ces œuvres controversées et marquantes. Il se refuse à toute amalgame facile, flottant entre les barrières floues du bien et du mal, préférant provoquer la réflexion sur les racines du mal plutôt que s'arroger le droit de juger et condamner.
Le Corps et l'Art
Si chez Okuda l'érotisme est artistique, c'est justement que pour lui le corps est un objet d'art sculpté par la lumière et les ombres. Okuda nous dévoile, Tomokawa et Yoko, allongés ou enlacés, sa cinématographie prenant des allures de natures mortes d'un peintre flamand le fait que le réalisateur est aussi peintre à ses heures y est sûrement pour quelque chose. L'assimilation à l'art va cependant bien plus loin, puisque le corps officie aussi comme un réceptacle pour œuvres d'art : un tatouage d'oiseau considéré comme un chef d'oeuvre orne le dos de Tomokawa, faisant non seulement du corps de celui-ci un objet d'art mais aussi un « cadre » pour cette peinture. Ainsi Tomokowa, figure pathétique précédée d'une mauvaise réputation, prend une soudaine valeur une fois que son tatouage de maître, une œuvre unique par sa complexité et sa beauté, est exposé aux yeux de ses semblables et aux nôtres.
L'obsession de l'Image
Si Yoko aborde Tomokawa pour s'offrir à lui au début du film, c'est qu'elle est tombée amoureuse d'une photo trouvée dans les affaires de sa mère. On y voit son profil et son dos nu exhibant fièrement son tatouage une quinzaine d'années auparavant, lorsqu'il était un beau jeune homme. La jeune fille est tombée amoureuse de plusieurs images emboîtées l'une dans l'autre. Dans cette mise en abîme, elle est obsédée par une première image le tatouage, une deuxième celle d'un homme qu'elle idéalise et enfin par la photo, le cliché lui-même. Elle n'est pas amoureuse d'un être réel mais plutôt de l'idée ou l'image qu'elle s'en est faite. De la même manière, Okuda nous présente en parallèle ce fan de Jimmy Hendrix, être halluciné et anachronique qui s'identifie à son héros et vit dans un appartement « sanctuaire » orné de posters, artefacts et autres guitares originales. Tout comme Yoko il est amoureux de l'image de quelqu'un qu'il n'a jamais rencontré et qu'il idéalise ; une fascination qui flirte avec le fétichisme.
L'image et l'Amour
Dans un ultime élan, comme pour se convaincre de cet amour la liant à Tomokawa et le renforcer, Yoko se fait à son tour tatouer un oiseau dans le dos, version femelle et complémentaire de celui de Tomokawa. Les deux amants sont maintenant totalement liés par l'image, les deux tatouages étant sensés officier comme des aimants. Mais cette illusion, est-elle assez forte pour passer outre les règles ou tabous que cette union a brisées ? Ce bruit qui résonne, nous prenant au dépourvu alors que l'écran s'obscurcit, en dit long sur les sentiments d'Okuda.
Fred Thom
|