critique de Silent Hill
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Le pari que tente de relever Christophe Gans, gamer plus que converti à la saga (qui compte à ce jour quatre opus) et absorbeur de supports en tous genres, se veut ambitieux : satisfaire tout autant les habitués du jeu, exigeants et impitoyables, dont il s'agit de ne pas décevoir les attentes et les espoirs qu'ils portent sur ce genre d'entreprise, et les cinéphiles n'ayant jamais touché une console. Réalisateur français dont l'œuvre puise ses sources loin des traditions hexagonales quelque peu embaumées dans la naphtaline (Crying Freeman était déjà une adaptation d'un produit japonais, - un manga -, tandis que le Pacte des loups mélangeait les genres, parmi lesquels le jeu vidéo de baston que maîtrisent les Nippons), il livre indéniablement la meilleure adaptation de jeu vidéo à ce jour, enterrant définitivement les navets que sont les Resident Evil, Doom ou encore Alone in the dark, dont la mise en scène totalement dépourvue d'idée novatrice n'avait d'égal que l'indigence du scénario. La grande force de son Silent Hill tient dans sa fidélité : le cinéaste a su convaincre les créateurs du jeu de le laisser adapter le jeu, avec qui il a travaillé en étroite collaboration, quand de nombreux autres réalisateurs ont essuyé des refus catégoriques. Fidélité donc. Dès l'arrivée des protagonistes dans la ville mystérieuse (véritable personnage principal), les joueurs se retrouvent en terrain connu. Tout y est : le brouillard de cendres, l'ambiance sonore, composée de crissements et de grésillements industriels (l'un des atouts du jeu, qui participe de son aptitude à instiller la peur au bout de la manette), les décors (on reconnaît d'emblée les épaves de voitures, les boutiques abandonnées, les rues désespérément désertes du jeu et surtout les murs rouillés de la version cauchemardesque de la bourgade), les palettes de couleurs qui identifient les différentes dimensions dans lesquelles l'intrigue se déploie. Les personnages emblématiques du jeu tout comme le bestiaire infernal (essentiellement ceux des deux premiers volets de la tétralogie) répondent également à l'appel : le personnage du père, interprété par Sean Bean, ressemble à s'y méprendre au héros du deuxième opus du jeu, James Sunderland, tandis que l'on reconnaît à l'écran les seconds rôles comme la femme-flic, la vieille sorcière énigmatique, les infirmières sans visage, les hommes-troncs et surtout Pyramid Head, créature inquiétante armée d'une lame gigantesque. Nouveauté de taille par rapport à l'œuvre originelle, le héros est ici une femme, ce qui colle parfaitement au thème de la maternité traité aussi bien par le jeu que par le film. Privilégiant la psychologie à l'action, Silent Hill (le jeu) apportait à sa sortie en 1999 du sang neuf dans le genre du survival horror alors dominé par les zombies de Resident Evil. Ses héros, des gens ordinaires confrontés à l'horreur, maniant maladroitement les armes à leur disposition, faisaient de Silent Hill un jeu où la fuite prévalait sur l'affrontement direct. En résultait une façon de jouer radicalement différente. On retrouve cette vulnérabilité dans le film. De plus, la peur éprouvée par le joueur devait beaucoup aux angles de caméra limitant le champ de vision. Non seulement, il se retrouvait la plupart du temps dans une obscurité que repoussait avec peine le faisceau d'une lampe électrique, mais aussi les positons de la caméra le plaçant souvent face ou au bord du cadre l'obligeaient à progresser avec prudence, presque à tâtons, ne sachant jamais quel danger son environnement immédiat pouvait cacher. La première partie du film reproduit quasiment à l'identique ces travellings acrobatiques et ces plongées vertigineuses, réduisant ces longues séquences d'errance dans les ruelles embrumées, puis baignées dans les ténèbres, à une interminable quête sans action. On touche là à l'une des limites de l'adaptation de Gans. A trop vouloir jouer la carte de la fidélité, il risque de laisser aux portes de sa ville une partie de son public. Même si la tension s'avère palpable dans cette première immersion dans la nuit surnaturelle de Silent Hill, le spectateur éprouvera la frustration du joueur, c'est-à-dire le complexe de la passivité. Dans le jeu, on incarne le personnage, on décide de son itinéraire, on peut errer indéfiniment avant de trouver les clés qui permettent de progresser dans la ville, et surtout, on avance en gardant en tête l'idée que l'on peut passer de vie à trépas à tout instant. Ici, on se contente d'assister à une réalisation chiadée mais on ne parvient pas à s'immerger totalement dans la peur de Rose, la mère à la recherche de sa petite fille disparue. Celle-ci, perdue dans un monde peuplé de créatures tout droit sorties des tableaux de Bosch et de Bacon parvient à surmonter son effroi quand n'importe qui d'autre aurait déjà perdu la raison. Une incohérence qu'on pardonne sur console mais qui ne passe pas au cinéma. Si la peur ne pointe jamais vraiment le bout de son nez, puisque l'on ne tremble pas vraiment pour le sort de Rose (sa mort équivaudrait à la fin du film, quand celle de l'alter ego du joueur ne met pas fin au jeu pour autant), une certaine angoisse se présente néanmoins au rendez-vous, par le truchement des décors avant tout, ce qui minimise la frustration évoquée précédemment. Force est d'admettre que Gans soigne à merveille les détails, du cadrage à la lumière, en passant par les accessoires (un fauteuil roulant abandonné, le bras d'un mannequin, le délabrement des murs, etc.) et l'ensemble de la ville aux trois visages (la vie réelle, la ville fantôme nimbée de brume et sa version infernale annoncée par une sirène assourdissante et un fondu au noir angoissant). C'est peut-être d'ailleurs ce souci du détail qui élève son film au rang de réussite, malgré les réserves que l'on a pu émettre et une direction d'acteurs inégale. Réussite avant tout formelle et esthétique, au détriment de la peur constante que le jeu parvient à entretenir. Sans remplir complètement son contrat, Silent Hill marque cependant un tournant décisif dans l'exercice périlleux de l'adaptation de jeux vidéo.
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