critique de Substitute
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Dès les premières secondes, le postulat du film, exposé clairement par un Fred Poulet enthousiaste face à un Dhorasoo dubitatif, porte en lui son impossible réussite - et ce n'est pas un hasard si "Le joueur d'échecs" de Zweig trône (négligemment?) sur le lit du footballeur dans l'une des dernières images du film. Car pour que la sauce prenne, il faut que l'argument principal du film, le joueur, soit à l'image; et l'incapable engagement de Vikash Dhorasoo dans l'acte cinématographique crève immédiatement les yeux de Fred Poulet qui, de paternalisme forcé en pédagogie vacillante, mène bon an mal an une barque qui prend l'eau, imposant petit à petit ses propres images, bancales, prétentieuses (les scènes de rush) ou sublimes (les caméramen qui attendent l'action) pour colmater la brèche. Dhorasoo ne sait pas : tenir la caméra, filmer, faire une mise au point, parler, exprimer ses émotions. Là où Zidane gardait une crédibilité dans ses rares commentaires à la naïveté enfantine grâce à son physique plein cadre d'animal au labeur, Vikash Dhorasoo abdique dès le départ : et alors qu'il se voulait intimiste, interne, inédit ou surprenant, Substitute va platement suivre depuis la caméra de substitution de Poulet les épisodes sans surprise, parce que gravés dans l'inconscient collectif, du Mondial, de la manière la plus pauvre qui soit : depuis les tribunes, derrières des barrières, à travers les barrages, jusque sur les chemins des deux protagonistes qui ne parviennent plus à se croiser (la scène-fleuve du jardin dont les routes opposées promettaient une rencontre forte, cruciale, nécessaire, on le sent bien, à l'un et à l'autre des deux hommes, et qui aboutit à une impasse, Dhorasso obligé de balancer ses bobines par-dessus les murets qui le séparent de Poulet comme un prisonnier finit par renoncer à la liberté et s'en débarrasse d'un geste triste de la main). Et ce n'est ni les choix musicaux pourtant pertinents du réalisateur, ni ses effets visuels de fin de première année d'école de cinéma, qui sauveront l'affaire. C'est cet échec total de film qui paradoxalement va lui permettre d'exister : Dhorasoo, solitaire, abandonné, perd pied dans un long monologue en voix off face au miroir où son image travaillée d'homme public qui se sait beau, se voit et se veut beau (et y parvient si bien, corps et regards sont gorgés d'une tendresse étourdissante d'un bout à l'autre de la pellicule) entre en complète rupture avec les aveux d'impuissance et d'abandon, de trahison même. Jusqu'à cette auto-exclusion inattendue, extraordinaire dans la bouche d'un joueur de l'équipe : "On a gagné" (à propos d'un match de qualification) "Enfin… Ils ont gagné", suivi d'un rire amer. La perte du "on", brutale, démesurée vis-à-vis de l'événement mondial qui gonfle les rangs des supporters en clameurs cocoricoesques et nationalistes (Dhorasoo dira à juste titre un peu plus tard : "Mais je ne suis pas un supporter, je suis un joueur de football") résonne d'une lucidité invraisemblable, en évidente lapalissade. Alors le remplaçant s'accroche enfin au film, sa bouée de secours, conscient de ce qu'il (n') en fait (pas), déçu et décevant jusque dans son rapport à l'autre ("Tu es le seul qui m'ait envoyé un message sympathique", confiera-t-il à Poulet après une dernière brimade, bouleversant et naïf, capturé par son pseudo-drame de télé-réalité involontaire), il le porte à son terme comme le journal intime qu'il ne sait pas écrire, que Fred Poulet ne lui a pas permis d'écrire : l'absence de confiance dont souffre Dhorasoo, le Substitute, sur le terrain, sportif comme cinématographique, est à lui seul, et gravement, le sujet du film.
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