critique de The Passenger
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Premier film pour le moins intrigant, The Passenger creuse radicalement la veine extatique d'une ancienne production franco-japonaise, Tokyo Eyes. François Rotger nous entraîne ainsi dans une transe animale, anxiogène et mutique, où les seuls repères persistants demeurent les corps charriant une nudité pernicieuse. Mais curieusement des enveloppes tronquées, rendues orphelines de la parole - présage de l'âme - au gré de leurs périples opaques. Sur ce thème littéraire japonais éprouvé notamment chez Murakami le cinéaste développe une œuvre hybride (peu de compromis ou métonymies) et éminemment sensorielle en éconduisant tout élément signifiant pour privilégier une mélancolie létale. Comment habiter durablement le cadre lorsque son enveloppe spectrale ne s'épanche que dans la fuite ? Question taraudante pour une course dératée qui s'emploie à échapper à la désertification croissante et inexorable des décors - dé-composition exquise. Deux courants s'offrent au spectateur. Le premier stigmatise l'impossibilité de s'enraciner dans des ruines ravagées par le temps impitoyable et inquisiteur (maison pulvérulente, pneus alignés comme des kilomètres de pellicules) et se développe au-delà du raisonnable, jusqu'à la prostitution. Voici des figures évanescentes n'éclosant que dans le coït, entre râles et ahanements. La seconde dynamique instille une réflexion sur la somatisation de l'œuvre elle-même (Naoki seule dans un coin du gymnase). Le personnage de Gabrielle Lazure incarne ce rapport de causalité entre chronologie castratrice à la pesante lenteur et chairs érodées. Nous en sommes réduits à conjecturer quel état de la cage ou de la course - analogie aux chiens - transpire la dénaturante tristesse de l'ensemble. Tout au long de ces instantanés, agencés à la limite du lisible, les langues se brouillent, résonnent, les repères s'infléchissent et ne persiste que la souffrance physique (sport, sexe, intimidation…). Nous comprenons alors cet irrépressible et violent besoin de marginalité, d'évoluer à la lisière du concret, du conscient. Le propos est parfois somnambulique, flirte avec l'anacoluthe, mais distille surtout une capiteuse pulsation (succession des plans de la première séquence) par sa propension troublante à convier les codes bruts, ataviques, habitant le spectateur. En cela le long-métrage affirme sa profonde contemporanéité, contrairement au pis-aller Takeshis', en tendant un reflet dérangeant d'authenticité au visionnant. Qu'il s'agisse de morbidité de jouissance ou d'un égarement calfeutré le tissu filmique n'est maintenu que par les fils ténus reliant les amants nippons : câbles électriques, beauté saisissante ou ridules lasses striant une surface polie par laquelle s'insinuent névrose et voix d'outre-tombe. Lorsque les mots féminins s'élèvent finalement toute métrique est abolie pour une déconnection terminale et fulgurante de la réalisation avec son famélique scénario. Les images s'enchaînent, vertigineuses. Et, échoués sur un rivage battu par le vent nous sommes pris à la gorge, égratignés de toutes parts (enchaînements abscons, esthétisme sensuel, émiettement outrancier, froideur agressive). Le formalisme dépassé nous voici bringuebalés entre beauté et bestialité, revigorant à défaut d'être totalement convaincant.
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