critique de Tideland
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Les Frères Grimm mettaient en scène des imposteurs qui profitaient de la croyance de leurs congénères. Nul abus dans le nouveau film de Gilliam, du moins dans le récit entrevu à travers le regard de Jeliza-Rose, puisque c'est dans les yeux de l'enfant que la monstruosité d'un destin unique va prendre des airs de grande aventure et transformer une critique sociale abjecte et radicale en une fable aux allures du wonderland d'Alice. Mais si le livre de Lewis Carroll et le film de Walt Disney avaient l'intelligence de garder le sordide en retrait (dans le cas du film d'animation parce qu'il s'adressait à un jeune public, dans le cas du livre parce que son auteur comptait sur la sensibilité de son lectorat), Terry Gilliam pour sa part n'épargne rien au spectateur : en constante overdose, à l'image de Jeff Bridges pourrissant dans le fauteuil de son salon, il s'englue dans l'insupportable drame de la jeune héroïne, cherchant en vain à apercevoir une lueur au bout de ce long tunnel qui lui est horriblement offerte au terme de son calvaire dans un fracas de métal et de sang. Jeliza-Rose, enfant abandonnée à elle-même dans un univers qui (devrait) la dépasse(r), se frotte aux épreuves tribales qui font, du jeune garçon, un homme dans les contes africains, sans jamais mesurer le danger qu'elle encourt : une mère boulimique, un père toxicomane, une taxidermiste nostalgique de Norman Bates et un imprévisible amoureux lobotomisé frôlent le politiquement incorrect (et le visuellement insoutenable) en présence de la naïve petite fille dont l'enfance se révélera malgré tout dans le magnifique regard de lucidité fatiguée qui clôt la narration. Il aura fallu ce long supplice borderline pour comprendre finalement l'enjeu du film de Gilliam : sur le thème de la survie en milieu pour le moins hostile, le cinéaste rend un hommage violent à la toute puissance de l'imagination de l'enfance - et à l'écriture des contes de fées - pour conjurer les démons qui l'habitent; une métaphore monstrueuse et pénible qui s'abîme dans l'étreinte d'une mère en demande et d'une petite fille perdue, feignant d'ignorer l'utopie potentielle de cette confiance improbable.
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