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Oz & 24 Heures chrono
:. Année : 2004 - 2007
:. Pays : USA
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La trahison-aphrodisiaque
De Oz à 24, extrapolations d'adultère classique qui résonnent des
tragédies antiques, traîtres et trahis se rejoignent jusqu'à se
confondre pour mettre un terme définitif, avec plus ou moins de succès,
aux clichés culpabilisants sur l'amour.
Deux couples s'embrassent : la scène est désormais classique, qu'elle
soit homosexuelle ou hétérosexuelle, le contact d'une main sur la nuque
ici avant que les corps s'empoignent, les lèvres frôlent la joue là, un
sourire, paupières baissées, le trouble entre l'homme et la femme comme
entre les deux hommes, sensible à l'image, aux images, habite le
spectateur, familier du sentiment.
Il faut pourtant y regarder de plus près.
Nina Myers (insaisissable Sarah Clarke) et Jack Bauer (Kiefer
Sutherland, Action-Man) en premier lieu, dans la troisième saison de
24 : plans fixes sur les visages des acteurs quand les mains de
l'homme sont entravées hors-champ, le baiser est un simulacre, une
provocation. On sait le destin des personnages-phare de la série
américaine, on connaît leur rapport : traître à la Cellule
Anti-Terroriste où elle feignait de travailler pour Bauer, Myers a
abusé de la confiance de l'homme et exécuté son épouse au terme de la
première saison, pour se retrouver face à lui dans les deux suivantes,
à tour de rôle proie et chasseur.
De leur côté, Chris Keller (Christopher Meloni, animal) et Tobias
Beecher (Lee Tergesen, sur le fil), détenus dans la prison-métaphore
d'Emerald City, se rencontrent dans la deuxième saison de Oz :
souffre-douleur d'un groupuscule nazi, Beecher refuse tout d'abord les
sentiments que Keller éprouve pour lui, mais, encouragé à la confiance,
il se livre (bouleversante scène de la laverie) et découvre à ses
dépends que Keller, à la solde des aryens, le manipulait.
La trahison, qu'elle soit politique ou psychologique, demeure dans la
série américaine la base la plus sûre de l'établissement de l'affect
entre le spectateur et ses héros; pourtant, et c'est ce qui est le plus
intéressant ici, le sentiment attache le spectateur à la victime de la
manipulation tout autant qu'à son instigateur, parfois même davantage.
Similitudes troublantes entre Myers et Keller : de froideur fascinante
en cynisme insoutenable, les anti-héros développent au fil des saisons
une séduction fatale en contrepoids de laquelle une fragilité
structurelle se fait incroyablement jour.
Sans jamais chercher d'excuses à leurs crimes (il n'y en a pas, ils
sont mauvais, c'est un fait établi), le scénario, complice, leur donne
pour ainsi dire le beau rôle : c'est à la confrontation répétée entre
trahi et traître, à la vengeance possible et au pardon inconcevable,
que la dynamique de la série va tendre.
Myers et Bauer ont eu une liaison avant la première saison (hors-champ
donc, rejoignant la structure des tragédies antiques qui, à partir d'un
événement antérieur au texte, développaient un processus psychologique
implacable), et c'est au-delà de la trahison politique et du meurtre de
l'épouse (et la mère), la raison pour laquelle Bauer n'aura de cesse de
traquer Myers : la destruction de l'objet du désir est d'autant plus
nécessaire que le désir est toujours présent, un désir morbide,
obscène certainement, évident pourtant.
Lors du baiser, Myers cherche à savoir si Jack la désire toujours
malgré le meurtre de sa femme : Bauer répond au baiser violemment, se
convainc que sa position d'otage nécessite pareille compromission pour
avoir une chance d'y échapper, mais le spectateur n'est pas dupe, c'est
bien de désir qu'il est question. Bauer, en dépit de l'horreur que lui
inspire Myers, est attaché (les liens physiques ne sont pas là pour
rien) à elle : il s'effondrera à la fin de la troisième saison, des
larmes inattendues qui détonnent dans la psychologie sans faille du
personnage (on y reviendra).
Keller et Beecher s'embrassent une première fois dans la laverie de la
prison au terme d'une séduction construite, protocolaire (on pense
beaucoup aux "Liaisons dangereuses" de Laclos). On sait que Keller est
un traître, la série n'en fait pas un coup de théâtre, au contraire le
spectateur est malicieusement rendu témoin-voyeur de la machination :
pourtant la passion du baiser ne trompe personne, et si Keller trahit
bel et bien Beecher dans l'épisode suivant, psychologiquement et
physiquement, les sentiments exacerbés entre les deux hommes, nerfs à
vif, crèvent l'écran.
La troisième saison creusera les motivations de Keller et le sentiment
qu'il éprouve pour Beecher, en obligeant la caméra, épisode après
épisode, sur son sourire extraordinaire et ses aveux monstrueux : ce
qui motive Keller, ce n'est pas la souffrance qu'il inflige mais
l'amour dont il reste l'objet, no matter what i've done to them,
confessera-t-il (quoi que je leur aie fait).
S'il faut voir une différence dans le traitement des deux séries, c'est
dans la résolution du conflit qu'il faut la trouver (et la déplorer).
En abattant à bout portant Nina Myers (qui menaçait sa fille -on en
revient à la culpabilité du héros vis-à-vis de la mère défunte et de
ses propres sentiments), Jack Bauer annule la dynamique qui le
précipitait contre les événements. La série, en trahisons répétées, ne
retrouve plus la force iconoclaste qu'elle avait su créer et le héros
noie sa lacune dans des larmes incompréhensibles si l'on n'en accepte
pas la véritable raison : Bauer aime Myers, Myers trahit Bauer, Bauer
aime toujours Myers malgré cela et sa mort, convenable dans le sens où
elle respecte la morale, et de son fait pourtant, lui est intolérable.
Oz, métaphore sociétale redoutable où se confrontent au quotidien et
sans aucune issue les instincts les plus immédiats de l'homme pour leur
survie en vase clos, affronte quant à elle la mécanique qu'elle a mise
en place : Beecher aime Keller, Keller trahit Beecher, Beecher aime
toujours Keller malgré cela et la troisième saison se ferme sur une
nouvelle étreinte, le pardon impossible et la pulsion d'amour qui
triomphe pourtant. Elle noie les deux hommes dans un baiser adulte,
mûri, qui, loin des conventions, accepte de prendre en compte le drame
humain et l'illogique beauté des sentiments.
Laurent Herrou
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