Walerian Borowczyk
Simple Pornographe ou Artiste Véritable ?
Walerian Borowczyk ca vous dit quelque chose? Né à Kwilcz en Pologne en 1923, le futur maître de l'érotique débute sa carrière dans le domaine du dessin et de la lithographie. Il termine ses études à l'Académie des Arts à Varsovie en 1951 et gagne, dès 1953, le grand prix national en graphisme pour ses affiches de cinéma. Il réalise quelques courts-métrages d'animation à partir de 1946, mais c'est en 1957, avec la collaboration de Jan Lenica, qu'il sort de l’ombre avec le film d'animation Byl Sobie Ras... (Il était une fois). En 1958, il reçoit le grand prix à Bruxelles pour son film Dom (dans lequel nous retrouvons, lors des cours moments non-animés, sa future femme, la méconnue Ligia Branice - que l'on retrouvera quelques années plus tard dans La Jetée de Chris Marker). Dès lors, Borowczyk est reconnu comme l'un des plus grands animateurs de l'Europe pour ses films qui relevant d'un surréalisme cauchemardesque et pour ses innovations dans le domaine. Plusieurs animateurs d'aujourd'hui reconnaissent son influence sur eux, entre autres le tchèque Jan Svankmajer, les frères Quay et Terry Gilliam de Monty Python.
Il s'installe par la suite à Paris où il collabore avec Chris Marker pour Les Astronautes et réalise d'autres chefs-d’oeuvre de l'animation, dont Renaissance et Le Jeux des Anges. En 1963, il crée son premier long-métrage d'animation Le Théâtre de M. et Mme. Kabal une étrange et violente vision de la vie de couple servant de microcosme de la condition humaine. C'est au tournant de la décennie qu'il passe de l'animation à la fiction avec Goto, L'île d'Amour et Blanche, tous deux mettant en vedette Ligia Branice. Ces deux films renferment les mêmes qualités que ses films d'animation tout en nous introduisant à l'érotisme de ses futurs films.
Pour Borowczyk, le décor et les éléments qui en font partie sont tout aussi important que les acteurs qu'ils englobent. L'animé et l’inanimé ne font qu'un. Cet esthétisme est apparent lorsque l'on visionne Blanche, un merveilleux conte médiéval shakespearien. En effet, que ce soit la grande tresse de foin abattu par un amant jaloux, le crucifix accidentellement poignardé lors d'une chamaille ou les nombreux coffres et coffrets révélant leur contenus secrets, tout, comme les acteurs, donnent vie au vieux château labyrinthique. Borowczyk rend aussi son film plus bidimensionnel en filmant presque sans exception ses sujets de face ou de côté. Comme les peintures médiévales, l'image aplatie renforce l'idée d'un film d'époque.
Avec ce même film, Borowczyk nous donne un léger aperçu de ce qui suivra dans son oeuvre. Malgré que l'érotisme n'y soit pas explicite, le film n'en est pas moins chargé. Une des plus belles images du film nous est montrée au tout début alors que Blanche (Ligia Branice), présentée à la suite de l'image d'une colombe en cage, sort de son bain, nue, blanche et frêle telle l'innocence immaculée qu'elle symbolise. Mariée au vieux maître du château (joué par Michel Simon dans ce qui aura été son avant-dernier film), elle devient l'objet désiré de tous les hommes de son proche entourage.
Le roi, son page et le fils du maître se la jalousent derrière le dos du vieil époux, ils complotent les uns contres les autres, des secrets sont révélés et le sang finit par couler. Malheureusement, la tournure des événements fait que Blanche est accusée d'adultère par son mari et le dénouement tragique s’ensuit. La jolie Blanche, innocente, devient victime des désirs des autres. Le thème d'un système établi, ici le château, dérangé par la nature humaine et, surtout, par sa sexualité est récurant chez Borowczyk.
Son premier film ouvertement érotique, Contes Immoraux, apparaît en 1974. C'est un aperçu de la sexualité au travers des âges en quatre épisodes. Malgré les images soignées et l'entêtement de Borowczyk pour ne pas vulgariser ses sujets, le film fera grimacer la critique et les admirateurs habitués à ses cauchemars animés au moment de sa sortie en salle. Le film obtient néanmoins un succès relativement grand à Paris. La scène où Thérèse Philosophe, enfermée dans une remise, se masturbe à l'aide d'un concombre en lisant le chemin de la croix peut sembler vulgaire au premier coup d'oeil, mais il serait superficiel de ne pas la considérer autrement. Cet épisode du film comprend de nombreuses similitudes avec Breaking the Waves de Lars Von Trier. Thérèse, comme Bess, possède le pouvoir de communiquer avec Dieu. Elle est quelque peu innocente et se fait punir pour ses bêtises. Contrairement à l'héroïne de Trier, Thérèse ne se sacrifie pas au nom de son mari mais elle s'offre, par l'entremise de la masturbation, à Dieu. Le sadisme que subit Bess est plus lent et cruel que celui que Thérèse doit supporter, mais elle aussi se fera violer par un truand et puis sera béatifiée. Bien sûr, le film de Trier est beaucoup plus développé avec ses cent quarante minutes, mais Thérèse Philosophe est très intéressant à comparer, ne serait-ce que comme esquisse.
Après avoir tourné le seul film qu'il allait tourner en terre natale à la suite de son emménagement en France, Dzieje Grechu - Story of Sin, Borowczyk repoussait davantage les limites de l'acceptable avec La Bête (1975). Il confrontait cette fois-ci le public avec des scènes graphiques d'accouplements équins, des phallus immenses éjaculant des quantités monstrueuses de sperme et de gros plans de masturbation féminine assez longs pour faire quitter des spectateurs lors d'une représentation à Londres en 1998. Le tout se retrouve dans une atmosphère de bourgeoisie qui aurait fait plaisir à Bunuel. Le public de 1975 n'était pas prêt pour un tel choc et plusieurs ont par la suite renié Borowczyk, le considérant comme un simple pornographe dénué de toutes valeurs. En perdant un public, il s'en est approprié un autre.
Les admirateurs de Borowczyk sont habituellement séparés en deux groupes: ceux qui ne jurent que par son travail dans le monde de l'animation et les autres qui, jugeant ce dernier trop bizarre pour être appréciable, préfèrent la deuxième moitié de sa carrière. Faire partie d'un groupe ou de l'autre est une erreur. Malgré que les différentes périodes de sa production puissent être analysées séparément, le cinéphile qui admire ou s'intéresse à Borowczyk doit s'y prendre d'une manière globale. Il doit prendre en considération la totalité de son oeuvre tout comme il le ferait avec celle de Fassbinder ou de Pasolini par exemple. Malgré la grande séparation (qui évidemment n'est qu'une première impression) entre les genres de film qu'il réalise, la signature distincte de l’auteur demeure. D'ailleurs Borowczyk refuse l'idée qu'il fait des films de genre. Les films de genres supposent l'abus d'une formule pour se conformer à ce que la censure juge comme étant acceptable pour le public. Celui qui veut faire un film d'action ne se base pas sur ce qu'il veut créer mais sur ce qu'il doit créer afin d’insérer son film dans les codes établis du genre. Selon Borowczyk c'est cela la pornographie.
L'érotisme n'est pas accepté par l'establishment (du moins, pas aussi explicitement que dans les films mentionnés ici). En l'utilisant, Borowczyk bénéficie d'une plus grande liberté d'expression, mais s'impose à la fois des limites de distributions. Ce désavantage ne l'affecte pourtant que très peu. Il est maintenant l’objet d’un culte et chacun de ses films obtient des recettes plus que suffisantes pour lui permettre de continuer son art. Ceci lui permet une intégrité qui nous laisse voir de plus près l'homme derrière le film. Qu'y a-t-il derrière toute cette peau, cette chair et ces fluides qui déferlent sur l'écran? Les mêmes thèmes que l'on retrouvait dans ses films d'animation. Les désirs refoulés, l'instinct humain dénaturalisé par une société qui ne sait pas comment s'y prendre.
Cette idée est présente dans Intérieur d'un Couvent qu'il tourne en Italie en 1977 avec Ligia Branice dans le rôle principal. Le film nous présente le couvent dans un environnement chaotique. Les soeurs, coupées de tout contact extérieur, ne peuvent contrôler leurs urges physiologiques. Certaines invitent leurs amants en cachette et d'autres s'offrent à des pratiques ou rituels tout autre que religieux. La Mère Abbesse, qui règne sur elles, tente avec acharnement de rétablir l'ordre et la disciplin. Sa nièce, Soeur Clara (Ligia Branice), est une nonne exemplaire qui, comme elle, ne supporte pas le comportement des autres soeurs.
De chambre en chambre, l'abbesse tente de trouver la source de la délinquance de ses soeurs : chez l’une d’elles, elle trouve de chaudes correspondances ; une autre est surprise à se masturber à l'aide d'un dildo en bois portant l'effigie de son amant ; une autre soeur, Soeur Lucretia, est surprise avec son amant sous un métier à tisser. Beaucoup de menaces sont échangées entre l’abbesse et les soeurs - parfois même de mort - ce qui ne fait qu'enrager davantage l'abbesse. Elle pousse ses recherches à l'extrême, elle voudrait avoir des yeux derrière la tête, elle voudrait être omniprésente. Une soeur, devenue folle par les pressions de l'abbesse, la croit être l'Antéchrist en chair et en os.
Soeur Clara, tant qu'à elle, se fait courtiser par le neveu du père confesseur et cède lentement à la tentation alors que Soeur Lucretia complote d'empoisonner la Mère abbesse. Elle menace une autre soeur de révéler sa relation avec Silva, un employé au couvent, si elle ne verse pas un "calmant" dans le breuvage destiné à l'abbesse. Son souhait est exhaussé, le poison est versé. Alors qu'elle se meurt, les soeurs donnent libre cours à leurs tentations les plus urgentes. Certaines d'entre elles, dont Soeur Clara, invitent leur amant au couvent. La mort de l'abbesse est annoncée dès le lendemain. Les recherches du père confesseur pour découvrir les responsables de l'assassinat n'aboutissent qu'au double suicide des soeurs ayant été témoins du crime. Soeur Lucretia jette le poison dans le lac et toute trace est effacée. L'évêque de la région, en visite cette même journée, s'arrange afin que les nouvelles du scandale ne franchissent jamais les portes du couvent.
La Mère abbesse est bien sûr le symbole de l'autorité suprême. Elle combat avec une furie démente les vices des soeurs au nom de leur époux Jésus. Toute tentation de leur part est un sacrilège et l'équivalent de l'adultère. Pourtant, dès le début du film, son contrôle n'est pas total alors que les soeurs, nettoyant la chapelle, se dévergondent. Deux soeurs se cachent dans le confessionnal pour se masser, une autre exécute de minables acrobaties devant le crucifix alors que sa robe, retombée sur elle, expose complètement ses jambes. L'abbesse surprend le groupe en pleine action. Toutes cessent leurs activités sauf la violoniste qui persiste même lorsque l'abbesse tente de lui arracher l'instrument des mains. Le violon s'écrase par terre et les autres soeurs retiennent la musicienne qui jure de tuer l'abbesse.
Le couvent, comme le château de Blanche, est hermétique. La vie à l'intérieur est strictement coupée de l'extérieur. Toute visite doit être autorisée (Silva y vient pour travailler, le neveu du père confesseur obtient la permission de son oncle). Borowczyk nous présente le couvent en tant que système paradoxal. Les soeurs vivent dans un environnement de prière où le code de conduite est sévère. Par contre, certaines des soeurs n'y sont pas par choix. Soeur Lucretia, par exemple, y est sous l'ordre de ses parents. Les règles du couvent sont donc imposées sur certaines d'entres elles. Malgré sa persistance, l'abbesse ne réussira jamais à forcer toutes les soeurs à obéir à ces règlements car, dès le début, les soeurs ne forment pas un groupe homogène. Par son entêtement elle poussera deux soeurs à la folie, elle causera un double suicide et sa propre mort. Borowczyk nous démontre que tout système imposé ne peut fonctionner par le fait même qu'il soit imposé, une réponse cynique à la menace communiste qui pesait sur la Pologne au moment du tournage.
En analysant le film, nous ne cherchons aucunement à en diminuer son contenu érotique. En plus de lui permettre une plus grande liberté d'expression et de provoquer la censure (les Contes Immoraux était en parti un manifeste), Borowczyk utilise l’érotisme afin d'éveiller des sentiments primaires chez le spectateur. Avec un degré de qualité variant de film en film, Borowczyk nous propose des images soignées d'une grande et puissante sensualité. Dans Emmanuelle 5, il laisse de côté l'exotisme caractéristique de cette série pour mettre en scène au contraire un érotisme très sombre, presque cruel, sans pour autant perdre en sensualité. Les films Borowczyk affichent des désirs que nous n’oserions peut-être jamais mentionner, mais qui font partie des fantasmes journaliers qui surgissent de notre inconscient. Que ce soit Erzébeth Bathory, baignant dans le sang de jeunes vierges roumaines, Lucy Broadhurst s'excitant, comme les étalons qu'elle photographie, à l'aide d'une rose ou même Dr. Jeckyll et Fanny qui se déchirent amoureusement dans le feu de la passion, Borowczyk extériorise ces désirs et espère nous débarrasser de cette honte qui pourrait en découler. Bref, il ne fait que vous présenter la bête qui se trouve en chacun de nous...
Mathieu Duval
La Bête
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