Millenium / Antichrist movie review DVD critique de Millenium / Antichrist



 

 



Millenium / Antichrist review

Millenium / Antichrist

:. Réalisateur : Niels Arden Oplev & Lars Von Trier
:. Acteurs : Noomi Rapace, Charlotte Gainsbourg
:. Année : 2009


Reposant sur une étude des violences faites aux femmes, le premier socialement (le livre de Stieg Larsson dont le film est l'adaptation s'appuyait sur les chiffres effrayants du pourcentage de femmes battues en Suède), le second historiquement (les chasses aux sorcières du XVIème siècle), Millenium et Antichrist interrogent parallèlement leur personnage principal — et leurs acteurs, plus généralement — sur le statut de la victime.

Le succès de Millenium a fait l'effet d'une petite bombe dans le monde littéraire : mêlant habilement une enquête policière classique dans la bourgeoisie suédoise et une étude précise et argumentée de la société du pays, le livre réussissait le pari de distraire, d'enseigner et de choquer de manière concomitante.

MilleniumSon adaptation pour le grand écran, tristement et logiquement (et il faudrait s'interroger encore et encore sur l'adaptation des best-sellers au cinéma), échoue pourtant sur les deux premiers, utilisant le choc pour captiver le spectateur — le rendre en tout cas complice de l'action, l'enfermer dans sa claustrophobie froide — sans pourtant réussir à l'y tenir prisonnier (on pense à ce que le Seven de David Fincher, vieux de presque vingt ans, avait su provoquer à l'époque de panique visuelle et d'absence d'espoir; sans parler du légendaire Psychose d'Alfred Hitchcock) : abominablement long, formellement laid (et quel dommage quand on pense à la matière, aussi bien géographique qu'actorale, qui était offerte à Niels Arden Oplev), oscillant sans arrêt (et sans y comprendre semble-t-il les codes) entre la bluette américaine et le polar sadique, Millenium n'apporte rien au cinéma — sinon la prestation impeccable de Noomi Rapace (quel nom sublime!) dans le rôle attendu et casse-gueule de Lisbeth Salander.

Le dernier opus de Lars Von Trier a produit quant à lui un effet similaire sur le dernier Festival de Cannes : annoncé comme sulfureux, violent, voire insoutenable, Antichrist entre dans l'arène cannoise auréolé du cortège des qualificatifs usés sur le dos de son réalisateur et se montre presque incapable d'y échapper, tant le film accepte et assume la charge émotionnelle mise sur ses épaules — Lars Von Trier ira, apprend-on, jusqu'à revendiquer la position de meilleur réalisateur au monde en conférence de presse, attirant à lui presque naturellement la foudre des critiques et des spectateurs (sacrifié volontaire, ajouterait-on, conscient de la dimension biblique chère au Danois). Descente aux enfers d'une mère en deuil au sein d'un Eden sylvestre naïf, pictural et instinctivement menaçant, Antichrist creuse pourtant avec une cruauté parfaite les failles de la thérapie classique face à la mort impossible. Huis-clos étouffant, insoutenable non pas dans la brutalité de scènes maintes fois enregistrées par le spectateur à l'écran (télévisé compris : la torture figurée étant devenue au fil des séries américaines un passage obligé), mais dans l'extraordinaire fragilité, tant physique que psychologique, de ses Adam et Eve modernes — et là encore, les prestations remarquées de Willem Dafoe et de Charlotte Gainsbourg, récompensée d'un prix d'interprétation féminine mérité.

Il y a des coïncidences de cinéma comme il y en a dans la vie : elles sont inattendues, brutales elles aussi, parfois exaspérantes mais surtout jouissives. Que Lars Von Trier se penche sur le statut de la femme à travers les siècles n'est pas une surprise : de Breaking the Waves à Manderley, on sait l'appétence du réalisateur pour l'incarnation de la victime (expiatoire, sacrifiée, revendiquée — on osera, et c'est important : coupable); mais qu'au fil de l'adaptation ratée du livre de Larsson, on voie se dessiner un tout autre film dont l'enjeu est d'interroger ce même statut de victime, en en déplaçant subtilement les archétypes quand le Danois subversif au contraire y enfonce le clou, est un plaisir rare (et parallèlement une raison supplémentaire de déplorer les écueils sus-cités de Millenium).

Lisbeth Salander a un passé trouble ("On a tous ses secrets" revient en leitmotiv), peu exploré pendant le film de même qu'il n'est qu'ébauché dans le premier tome de Millenium, au titre marquant : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes (c'est aussi le titre du film en Suède). La formule est de Salander à propos de l'enquête qu'elle et Bloomkvist (Michael Nyqvist, accessoire) mènent autour de meurtres rituels de femmes des années cinquante à nos jours, et des meurtriers en général. Nul besoin de thérapie ici, ni d'analyse : Salander, elle-même victime du pouvoir sadique des hommes (les scènes de viol par son tuteur sont extrêmes, efficaces), ne verse pas dans l'auto-apitoiement. Sa position consiste à retourner la violence envers ceux qui la délivrent, le film n'étant pour autant — et c'est la force du personnage de Salander — jamais un réquisitoire pour la justice personnelle : le pouvoir brut des hommes peut les amener à se détruire eux-mêmes, c'est vers cela que la dynamique de Salander œuvre (et si elle peut aider au passage, pourquoi s'en priver?).

Gainsbourg de la même façon se révolte contre la prise de pouvoir thérapeutique de Dafoe : endeuillée tout comme il l'est lui-même (mais le poids du deuil ne repose que sur les épaules de la femme, à l'image de la faute originelle, dédouanant l'homme de toute culpabilité et de toute responsabilité sinon celle de ramener la femme à la raison), elle subit tout au long du film la violence psychologique du mari-médecin, lui rappelant pourtant que Freud est mort — et l'hystérie féminine, normalement, avec lui. Paradoxalement, et c'est la réussite du film, Gainsbourg prend graduellement corps (le rôle est éminemment physique) avec cette féminité hystérique niée, convoquant la sorcellerie persécutée (le sujet de la thèse que son personnage travaille porte le titre prophétique de "Gynocide"), accusant la nature humaine et plus particulièrement celle des femmes. Et à l'image du Manderley du réalisateur où les esclaves confessaient avoir eux-mêmes édicté les lois de leur servitude et renonçaient à la liberté, Gainsbourg confesse la faute originelle et expie des mains de l'homme, rejoignant dans la mort la cohorte des sorcières dont elle visait à prendre la défense intellectuellement mais que la maternité (enfant conçu dans la fornication comme il mourra pendant l'acte sexuel des parents au début du film) aura associées à sa chair.

La question de la victime se pose ainsi dans toute sa complexité, de façon quasi identique dans les deux films : est-ce que les hommes n'aiment pas les femmes (pour reprendre la titre de Larsson) à tort ou à raison? Et lequel est réellement victime de l'autre? Salander viole et séquestre son tuteur, Gainsbourg mutile et persécute Dafoe et les deux films trouvent leur aboutissement — et leur apaisement — dans l'embrasement d'un bûcher où bourreaux et victimes se rejoignent.

On insistera enfin sur la prestation exceptionnelle de Noomi Rapace dont chaque apparition à l'écran fait craindre l'explosion d'une bombe à retardement, fidèle en cela au personnage du roman, et regretter une fois de plus que l'académisme de l'adaptation d'un livre à l'écran ne parvienne pas à sublimer les faiblesses de son scénario pour porter le spectateur vers une dimension supplémentaire. Et on applaudira encore la puissance volontaire, animale, inspirée (ensorcelée?) d'une Charlotte Gainsbourg à l'apogée de son talent.


  Laurent Herrou


     Antichrist


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