:: MARDI 13 SEPTEMBRE 2005
   Fin de festin.

Brett Leonard est bien content d'être là pour clore cette treizième édition, somme toute mitigée, de L'Etrange Festival. Il est surtout très satisfait de son film Feed, histoire indigeste d'obèses gavées sur internet jusqu'à ce que mort s'ensuive. Racoleur et pataud, le film puise sa matière dans de vieux fonds de gamelles. Jamais malsain mais toujours ridicule, Feed a tout du produit avarié : scénario ( ?) rebattu, situations grotesques et twist idiot, le tout servi par une mise en scène tape à l'œil et esthétisante à souhait. Comme navet, Feed fait figure de poids lourd. — Sandrine Marques

:: LUNDI 12 SEPTEMBRE 2005
   Piano désaccordé.

L'accordeur de tremblements de terre de Stephen et Timothy Quay, 2005, 1h35.

L'accordeur de tremblements de terreUn savant diabolique, une belle cantatrice, un accordeur de piano, des automates, le secret de la résurrection, un opéra diabolique, le tout sur une île isolée et mystérieuse. Dans la pure tradition du film fantastique, inspiré des romans de Jules Verne, les frères Quay déploient les artifices de leur univers visuel si facilement reconnaissable, avec, en son centre, ces étranges automates qui ressemblent à des tableaux vivants. Hélas, à l'image de ces machines sophistiquées mais n'accomplissant qu'un nombre limité d'actions, répétitives, la mise en scène se perd elle-même dans l'obsession de sa propre sophistication. Ce qui donne une œuvre millimétrée, mais maniérée et profondément ennuyeuse. On préfère les frères Quay lorsque leur poésie va à l'essentiel : dans leurs courts-métrages. Ici, la beauté de leur monde se noie dans une narration sans invention. — Moland Fengkov

:: SAMEDI 10 SEPTEMBRE 2005
   De bruit et de fureur.

Evénement : le bassiste du mythique groupe allemand Einstürzende Neubauten, Alexander Hacke, se produit ce soir en tête d'affiche, à l'occasion du deuxième concert concocté par les dynamiques organisateurs de l'Etrange Musique.

BigEt pour ouvrir le bal, un groupe français, au nom prédestiné : Big. Le duo constitué à la basse de Frédérick Galiay et à la batterie d'Edward Perraud œuvre dans le champ de l'experiment/abstract. Lorsque les deux musiciens apparaissent sur la scène de l'auditorium, impeccables dans leurs costumes cravates, rien ne laisse augurer la fureur musicale qui va bientôt déferler sur le public. Perraud, le percussionniste hors pair formé à l'IRCAM et fondateur de l'Orchestre des Sons Traqués (collectif à géométrie variable de 10 à 25 musiciens), donne le coup d'envoi à un concert tout de véhémence sonore et de poésie sombre. Un violent coup porté à la batterie et la basse de Galiay de s'emballer, gémir et rugir sous l'archet qui la déchire. Si l'aléatoire est le maître mot des accords rageurs, la maîtrise technique l'emporte de bout en bout, scellant des noces barbares entre les deux instruments. On est abasourdi par tant d'énergie, et l'expérience acoustique cède vite la place à une expérience esthétique rare. Big mérite tous les honneurs des programmateurs, tant pour leur prestation scénique inouïe que pour leur travail audacieux sur le renouvellement des formes musicales.

De fait, la prestation de People like us, en deuxième partie de soirée, paraît bien éthérée. Vicki Bennett travaille le dialogue son/image, en s'appuyant sur la vidéo. Le recours à l'archive appuie un travail sur le contrepoint. Son horizon ? la culture populaire à laquelle le multimédia donne sa patine singulière. Un surcroît de poésie et d'ironie aurait contribué à l'émergence d'un vrai univers, lequel fait ici défaut.

Alexander HackeEnfin, le grand homme de la soirée, tant par sa stature que par sa carrière, arrive sur scène. Alexander Hacke s'invite pour un set en solo, soutenu par son studio portatif, vrai laboratoire sonore. Et c'est le fruit de ses différentes expérimentations que nous livre le musicien avec ce side project qui a pour nom Sanctuary, son territoire intime, forgé au fil des voyages et des collaborations. Prestation inégale, en dépit de moments réellement électrisants, due principalement au manque d'homogénéité même du projet. On vibrera tout de même avec Sugarpie, morceau qui ouvre le set, et le titre éponyme de l'album, tout de nappes sombres et enveloppantes.

   Nuit auto-défense USA.

Très en vogue dans les années 70/80, un certain cinéma réactionnaire, prônant l'auto-justice et l'usage des armes à feu, connaît son apogée. Sa figure emblématique ? Charles Bronson, dont la série des " Justicier " se devait de figurer dans le corpus de films proposés. La soirée démarre avec un très bel exercice de montage, signé par la joyeuse bande des Seconds Couteaux, un collectif décalé de cinéphiles, qui vise à réhabiliter ces acteurs qu'on reconnaît à leur faciès, sans pour autant les identifier. Mais après cette euphorisante entrée en matière, le malaise s'installe. Class 1984 de Mark Lester, aussi ringard que douteux, raconte les déboires d'un prof dans une high school, malmené par des petites frappes. Lorsque ces derniers s'en prennent à son épouse, l'enseignant dégaine les armes. Difficile, même avec une bonne dose de second degré, de dépasser l'idéologie nauséabonde qui imprègne la bande. Quant au Justicier, dont les aventures ont fait les grandes heures des programmations télévisuelles de deuxième partie de soirée, on décide de le laisser régler ses comptes en solitaire. — Sandrine Marques

:: VENDREDI 9 SEPTEMBRE 2005
   L'esclavage mis à nu

Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi ont lancé le genre shockumentary (Mondo Cane 1962 - Africa addio 1966) : travellings, gros plans tout crus, obscénité du réel, ethnologie trafiquée, effets sensationalistes, montage abrupt, juxtaposition violence/douceur qui rend la douceur plus brutale que la violence, bande-son en contrepoint, flonflons de Riz Ortolani - voix off sarcastique .

Les NégriersLes Négriers (Adieu, oncle Tom dans les autres langues) reprend tout ces éléments pour en faire une épopée grotesque. L'esclavage comme si vous y étiez - vous y êtes - dans les cales aux enchaînés, esclaves nus entassés, avec les rats et les insectes, l'esclave qui refuse la pitance, on lui casse les dents pour le gaver de force, désinfection du cheptel, dressage, docteur crapuleux présentant ses nègres de laboratoire, mutilation, domestication, castration punitive , promenade dans un domaine sudiste.

Prêche en faveur de l'esclavage, justifié par la Bible ( mythe des noirs descendant de Cham, le fils maudit de Noé ). Premières églises noires, seul lieu où ils pouvaient revivre leurs anciens rites, danses et transes . Identification au peuple de la Bible - à L'Exode surtout - Let my People go. Serviteurs et gens de maison, Mamma régnante, mère maquerelle, droit de cuissage, vieille bourgeoisie sudiste muséifiée, rejouant son ancien mode de vie dans ses meubles et costumes devant les touristes, allusion aux Black Panthers, candidats politiques noirs traités en clowns , gay pride en place du carnaval noir, hippies blancs se badigeonnant le corps de peinture pour expier leurs fautes. Visite du grand lupanar de New Orleans, avec le tour des spécialités. Et pour finir, on fait le tour d'une ferme d'élevage, sélection des races, saillie, accouchement (un dollar pour chaque enfant né). Le viol, condition permanente du commerce de bois d'ébène.

A aucun moment le film ne bascule dans la compassion. Le brûlot est truffé de diversions. L'horreur est dépouillée par la farce, le réalisme par l'outrance, le voyeurisme par l'ironie. La superproduction au service de la subversion.

Chef d'œuvre immédiatement occulté, Jacopetti et Prosperi retournèrent à leur série des Mondo et s'enfouirent dans le cinéma bis. La même année, ce sont deux films italiens "politiques" nettement plus présentables qui raflèrent le grand prix à Cannes : L'Affaire Mattei et La Classe ouvrière va au paradis. — Damien Panerai

:: JEUDI 8 SEPTEMBRE 2005
   Du côté des bourreaux

MassakerUne avant-première très attendue que le documentaire Massaker (2005) de Monika Borgmann, Lokman Slim et Nina Menkes. Problème : le film se contente d'enregistrer, dans un décor dépouillé, les témoignages de bourreaux, responsables du carnage de Sabra et Chatillah, sans qu'aucune idée de mise en scène ne vienne soutenir leur parole somnambulique. Cadré de façon à oblitérer les visages des vétérans, le dispositif rudimentaire s'épuise tout seul. Rapidement, la caméra ne sait plus quel angle privilégier, ni que faire de ses corps qui barrent le cadre, filmés sans inspiration aucune. Certes, les témoignages apportent un éclairage inédit sur le sanglant et terrifiant événement : de la fascination pour la figure charismatique d'un chef à qui obéissent aveuglément des hommes, pauvres pour la plupart, désoeuvrés, et qui vont commettre les pires exactions sous la double influence de l'autorité et de drogues hallucinogènes. On regrette que la mise en scène ne se hisse jamais à la hauteur du discours, à l'instar de l'indépassable S21 de Rithy Panh, sur un sujet similaire. — Sandrine Marques

:: MERCREDI 7 SEPTEMBRE 2005
   L'écran dévorant

Terror 2000Annoncé comme un " conte sexuel et sanguinolent ", Terror 2000 de C. Schligensief est en deçà, pour une fois, de son titre et de ses effets d'annonce. Cauchemar sonore et visuel que cette énième bouillie filmique. Des hurlements ininterrompus ponctuent une série de meurtres, tous plus cheap les uns que les autres, sur un vague fonds politique : l'accueil des immigrants polonais en ex RDA. Ca crie, ça gesticule, ça zigouille à tout va. Il y a le clergé et tout un cortège d'affreux. Potache, une fois de plus et sans aucune portée sociale. Schlingensief est décidément un petit malin.

Shuji TerayamaEn revanche, l'éblouissement est au rendez-vous une fois de plus avec Les Labyrinthes Imaginaires, volume 2 de Shuji Terayama (1977). On retiendra surtout Rolla, court-métrage accompagné d'une performance live. Des filles de mauvaise vie interpellent le spectateur. Un tombereau d'injures déferle dans la salle. Les vulgaires harpies en rajoutent, prennent la pose. Un spectateur se lève alors, prêt à en découdre. Il est absorbé par l'écran et se retrouve aux prises avec les furies. L'écran l'expulse, nu et humilié. Ces labyrinthes imaginaires agissent tel un sortilège sur le spectateur. Servis par une musique hypnotique, ils nous entraînent à la lisière du rêve, comme le très beau segment Gomme à Crayon, qui voit la disparition d'un couple au bord de la mer. Une écriture visuelle poétique. — Sandrine Marques

:: MARDI 6 SEPTEMBRE 2005
   Belle endormie

QuilomboEpopée qui tient autant de la légende que du récit d'édification, Quilombo (1984) de Carlos Diegues, un des fers de lance du Cinema Novo brésilien, raconte comment des esclaves se sont affranchis de la tutelle portugaise pour fonder, au XVIè siècle, une communauté autonome. Ce récit de combat, qui tend à éviter l'imagerie, au profit d'un discours humaniste, se perd néanmoins dans l'illustration un peu conventionnelle de son sujet.

" Dormir est une façon de mourir ou tout du moins de mourir à la réalité, mieux encore, c'est la mort de la réalité " disait Salvador Dali, propos qui sied à merveille au troublant Sleeping Beauty (1973) de James B. Harris, l'une des très bonnes découvertes de cette édition. Une belle jeune femme, plongée depuis huit ans dans un sommeil artificiel, constitue une attraction de foire. Elle est achetée par un musicien de jazz et devient le centre de jeux pervers de l'homme et de sa compagne, une riche oisive. Belle au Bois dormant moderne et baroque, douce et délétère à la fois, Sleeping Beauty plonge dans les affres de la passion. Condition du désir : sa mise en scène. L'imaginative châtelaine aura tôt fait de dévoyer la candide dormeuse qui ne s'épanouit que dans la contrainte. Film sur l'impuissance, l'innocence perdue et la représentation, Sleeping Beauty s'achève sur un final cruel et cynique. Ce conte de fées pour adultes va bénéficier en 2006 d'un director's cut bienvenu, palliant, on le souhaite, aux quelques longueurs qui parsèment l'entreprise. — Sandrine Marques

:: LUNDI 5 SEPTEMBRE 2005
   Nothing at all

NothingImaginez que tout ce qui vous chagrine en ce bas monde puisse disparaître par la seule force de votre volonté. Avec ce postulat, Vincenzo Natali, qui s'était distingué avec le prétentieux et immature Cube, construit un objet délirant autour de deux amis d'enfance, losers interdépendants, restés à l'âge ingrat et qui voient le monde s'évaporer autour d'eux. Passées la panique et l'angoisse, les joyeux drilles apprennent à maîtriser cet étrange pouvoir, jusqu'à l'excès. Nothing, réalisé en 2003 et toujours pas distribué, fait figure d'objet conceptuel, voire d'ovni visuel. Eradication du décor, réduit à un fond blanc (façon THX 1138 de George Lucas) s'étendant à l'infini, sans repère spatio-temporel (les cartons égrainant les jours finissent par s'y perdre eux-mêmes), avec comme centre de ce nouveau monde, la maison des deux imbéciles, perchée il y a encore peu entre deux bretelles d'autoroutes. Le film développe et exploite toutes les possibilités de cette idée simple, enchaînant les expérimentations et les situations, les deux héros devenant leurs propres cobayes. A la limite du cartoon, les sketches se multiplient, jusqu'à disparition quasi-totale des personnages eux-mêmes. Agaçant comme un délire d'ado attardé, Nothing vaut pourtant pour ses trouvailles et en substance, pour son hymne à l'amitié, celle de deux jeunes hommes voués à partager ad libitum leur solitude. — Moland Fengkov

::  DIMANCHE 4 SEPTEMBRE 2005
Flamboyant enfer

Désormais un rendez-vous incontournable, le Retour de Flamme proposait de découvrir cette année Les Voyages Très Extraordinaires de Saturnin Farandoul de Marcel Fabre et Luigi Maggi (1914), épopée farfelue et drolatique, accompagnée au piano par Serge Bromberg, un truculent maître de cérémonie. Série de sketches, frappant par leur audace parfois (les ébats aquatiques du héros avec une plongeuse), ces Voyages ne manquent pas d'étonner par leur modernité.

Point d'orgue cinéphilique de la journée, L'Enfer (1960) de Nobuo Nakagawa, œuvre baroque, à la lisière de l'iconoclastie. Deux étudiants renversent en voiture un homme. Poursuivi par la vindicative mère de la victime, l'un des protagonistes tue accidentellement son comparse. Rongé par la culpabilité et la mort de sa fiancée, il arrive en Enfer où il est éprouvé. Le héros y retrouve le sosie de sa bien-aimée. Entre Vertigo et La Divine Comédie de Dante, ce chef d'œuvre de noirceur pousse la proposition visuelle et narrative aux confins du rêve et de la folie. Le récit, tout en contrastes, mélange la théologie boudhique et la culture occidentale. Ce beau film étrange a donné lieu à plusieurs remake dont l'un, signé par Teruo Ishii. — Sandrine Marques

:: SAMEDI 3 SEPTEMBRE 05
   Labyrinthes industriels.

Enchantement sonore et visuel, le cinéma expérimental de Shuji Terayama, objet d’un hommage bienvenu, nous subjugue par son audace, sa poésie et son inventivité. Les Labyrinthes imaginaires (trois volumes compilant un certain nombre de courts métrages, réalisés entre 1964 et 1977) invitent à la rêverie et appellent l’interactivité. D’où le sens des étonnantes performances, concomitantes aux projections. Le volume 3, variation poétique autour des Chants de Maldoror, signe la culture littéraire d’un cinéaste, lui-même auteur de nombre de romans et poésies reconnus. — Sandrine Marques

:: VENDREDI 2 SEPTEMBRE 2005
   Impostures et mystifications.

La journée s’ouvre par une curiosité, signée Salvador Dali : Impressions de la Haute Mongolie, « conte de fées pour adultes », vertige hallucinogène et délire poético-surréaliste. Champion des mystifications en tout genre, Dali vante les vertus d’un champignon rare, aux vertus créatrices. Rien de bien planant dans cette entreprise.

On fera l’impasse sur Freakstars 3000, vu lors de l’édition précédente de l’Etrange Festival, pétard mouillé dénué d’intérêt sur la télé-réalité (des handicapés mentaux et physiques participent à une sorte de Popstars trash), pour se concentrer sur le controversé Gloria Mundi du grec Nico Papatakis. Exploité peu de temps, en raison de son sujet explosif, le film relate une résistance par le corps, celui d’une actrice qui cherche à trouver le cri ultime des suppliciés de la guerre d’Algérie, en s’infligeant elle-même des tortures. Insatisfait de son montage initial, Papatakis a remodelé le film, en vue d’une ressortie prochaine. On ne peut pas dire que ce Director’s cut gagne en épure, tant le cinéaste, soucieux d’éclairer sa démarche, s’encombre de commentaires inutiles. Visuellement daté, mais néanmoins brûlant d’actualité, Gloria Mundi vaut pour la prestation risquée de la très belle Olga Karlatos, possédée, au propre comme au figuré par le film et son réalisateur, à la figure redoublée. Des affres de l’aliénation amoureuse et politique.

Dans le corpus de films consacré à l’esclavage, on se serait bien passé de l’inepte Manderlay, signé Lars Von Trier, le trublion danois, déjà manifestement à court d’inspiration, dès le deuxième volet de sa trilogie américaine. Même dispositif, mêmes décors : le tarissement créatif est entériné. La bravache Grace (interprétée ici par la mutine Bryce Dallas Howard – Kidman aura sauté du navire à temps) reprend du service. C’est maintenant une communauté de noirs que, dans sa bonté incommensurable, l’idiote du village entend libérer du joug de l’asservissement. Mais, twist ultime, ces esclaves sont eux-mêmes les artisans de l’aliénation. Trier ne recule devant rien et surtout pas devant le mauvais goût, tout comme Sclingensief qu’on décide de continuer à fréquenter, « histoire de voir ». Son Massacre à la Tronçonneuse allemande ne suscitera aucune question dans la salle, consternée par cette bouillie gore et arty. La tronçonneuse ne troublera pas notre sommeil de bûches. — Sandrine Marques

:: JEUDI 1er SEPTEMBRE
   Sous le signe de Kubrick et de Fassbinder.

Annoncé comme l’électrochoc du dernier Festival de Cannes, The Great Ecstasy of Robert Carmichael ne tient guère la promesse de sa scandaleuse rumeur. Situé à New Haven, cafardeuse ville côtière anglaise ravagée par le chômage, le film met en scène des jeunes en perdition, lesquels, au terme d’un lent processus d’auto destruction, commettent un crime abject. Thomas Clay, pour sa première réalisation, échoue par excès d’ambition tant formelle que discursive. Les afféteries de la mise en scène (amples panoramiques, fondus enchaînés ad libitum) ne comblent pas la béance d’un propos politique douteux, sur fonds de lutte des classes. Proche d’Orange Mécanique, dont le cinéaste se réclame, le final insoutenable radicalise la matière kubrickienne, mêlant dans un maelström indigeste, guerre en Irak, Shoah et combat social. L’extase du titre n’est guère contagieuse.

D’une guerre l’autre. Celle mise en scène par Christof Sclingensief se veut volontairement scabreuse. Il s’agit de United Trash, l’un des volets d’une laborieuse trilogie dédiée au politique. Drôle sur le papier (l’épouse d’un général envoyé en Afrique pour le compte de l’ONU tombe enceinte d’un lilliputien noir, lequel intéresse un archevêque excommunié pour pédophilie), le film ne dépasse pas la gesticulation hystérique. Bancal, potache, le récit avance selon une trajectoire aussi hasardeuse que la réalisation. En dépit de saynètes anti-cléricales jubilatoires, Sclingensief confirme tous les a priori négatifs que l’on avait à l’égard de son cinéma opportuniste. Et c’est avec un plaisir certain que l’on préfère retrouver Udo Kier, son compagnon de cinéma, dans la 3è Génération de Fassbinder, œuvre magistrale, sombre et dense sur le terrorisme « rouge » qui, pendant près d’une décennie, ébranla la RFA. — Sandrine Marques

:: MERCREDI 31 AOUT 2005
   L'étrange ouverture

C'est dans un auditorium aux trois quarts plein que l'Etrange festival a ouvert ses portes pour la dixième fois au Forum des images, qui lui offre pour l'occasion la totalité de son espace. Gilles Boulenger et Frédéric Temps, les deux chefs d'orchestre de l'événement, se succèdent au micro. Rapide présentation des thématiques, à laquelle s'ajoute l'indispensable liste des remerciements auprès des partenaires, avant l'entrée en scène d'un invité surprise, lui-même rompu aux discours emphatiques : le président de Groland (Christophe Salengro), que tous les accros du Paf connaissent bien. " Etrangers, étrangères, festivaliers, festivalières… " commence-t-il, avant de poursuivre sur son plaisir de participer au festival " le plus festif et le plus estival ". Cerise sur le gâteau : la présence d'Udo Kier, salué par une standing ovation. L'inquiétant acteur se montre d'emblée disponible : après avoir raconté qu'il arrive de Los Angeles où il a tourné dans le dernier John Carpenter, film dans lequel il meurt de " la plus incroyable des manières " (sic), il invite les festivaliers à venir l'aborder durant les cinq jours qu'il passera sur place. Les lumières s'éteignent et le film d'ouverture commence alors : A bittersweet life, du Coréen Kim Jee-Woon, présenté hors-compétition au dernier Festival de Cannes. Dans la lignée de Old Boy, qui valut à Park Chan-Wook de quitter la Croisette en 2004 avec le Grand Prix, cette partition funèbre, tout en ruptures de ton et de rythme, a arraché, deux heures durant, autant d'éclats de rire que de sursauts horrifiés devant sa violence soudaine et froide. Esthétique léchée, humour burlesque et combats arrosés d'hémoglobine servent une histoire d'amour impossible qui scelle le destin d'un homme de main (trop) efficace. L'Etrange festival commence dans le sang coréen, il se fermera sur la graisse australienne de Feed. Entre-temps, on aura pu se vautrer dans la boulimie cinéphilique, et au vu du hors-d'œuvre servi en ouverture, on n'attend qu'une chose : la suite du menu. — Moland Fengkov

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