Avec : Julianne Moore, Dennis Quaid, Dennis Haysbert, Patricia Clarkson
Durée : 2:00
Pays : USA
Année : 2002
Web : Site Officiel
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Todd Haynes rend hommage au réalisateur Douglas Sirk mais fait plus qu'emprunter les thèmes et la palette du cinéaste. Haynes réplique parfaitement le cinéma des années 50 mais puisque nous sommes en 2003 et non pas en 1957, il va plus loin avec son histoire et ses personnages. Ce dont il faut se rappeler, c'est que c'est un film stylisé et façonné à l'image d'autres films. Ce n'est ainsi pas un long métrage qui reflète avec véracité une période, ce qui est d'autant plus confus puisque Sirk fut lui-même limité par les barrières de la morale et de la censure. La démarche de Haynes est inhabituelle, tentant de bâtir un contraste entre les valeurs du 21e et du 20e siècle dans un remake, non pas d'un film, mais de ce qu'aurait pu être un film si les règles de la société avaient été différentes.
Julianne Moore incarne Cathy Whitaker, épouse modèle de Frank (Dennis Quaid), dirigeant commercial d'une grosse boite technologique. Ils ont deux enfants de moins de 10 ans et offrent l'image d'une famille idéale selon les critères télévisuels et Hollywoodiens. Ils représentent des citoyens d'une autre époque mais ne sont pas réels puisque les personnages des films d'alors ne l'étaient pas. Haynes jongle avec ces thèmes et réussit dans son entreprise grâce aux interprétations habitées de Moore, Quaid et de Dennis Haysbert (24 H Chrono) dans le rôle du jardinier, mais aussi grâce à un visuel sublime, de la photographie aux décors et aux costumes.
Le spectateur contemporain sait d'avance que la perfection à l'écran est aussi illusoire que le cinéma lui-même. Lorsque les personnages commencent à dériver Frank se met à boire et à fréquenter les boites homo tandis que Cathy s'abandonne dans les bras Raymond nous savons où le film va, au contraire des personnages qui eux vivent à une époque où il n'y avait guère de marge de manœuvres. Relations inter-raciales, homosexualité et divorce sont des tabous de la société que le cinéma a évité pendant de nombreuses années. Raymond est le seul personnage réaliste et les motivations de Haynes ne sont pas claires : l'insertion d'une figure « en marge » lui permet peut être de se raccrocher à la réalité.
Le film offre quelques scènes difficiles alors que les personnages confrontés à leurs propres démons voient leur vie se disloquer. La lutte de Frank contre ses penchants est magnifiquement dépeinte par le jeu de Quaid et par le scénario. Cathy est une innocente forcée de réagir face à une situation inattendue. Lorsqu'ils tentent de discuter de leurs problèmes, les mots leurs manquent. Ils semblent dénués de la capacité de communiquer, complètement noyés dans leurs émotions. C'est sûrement la scène la plus authentique du film, nous montrant que ces personnages des années 50, des âmes égarées, étaient dénués de tout scénario mettant à leur disposition des mots sensés traiter des tabous et de l'irréalité de leur sexualité.
Haynes amène ces gens dans des zones inexplorées avec lesquelles nous en tant que spectateurs sommes familiers. Loin du Paradis semble donc jouer un tour à ses personnages comme aux spectateurs. On se sent manipulé, confus mais aussi ému. Les couches d'un cinéma irréel contrastent d'une façon abrupte avec le jeu réaliste des acteurs, ajoutant à notre ecchymose. Le long métrage semble nous dire que les années 50 n'étaient pas aussi formidables, ce que l'on savait déjà. Les enfants de Cathy et Frank sont les spectateurs d'aujourd'hui. Dans ce foyer idéal on les envoyait dans leur chambre pendant que les parents confrontaient leurs problèmes. Ils avaient des jouets et prenaient des cours de danse mais ne bénéficiaient pas véritablement de l'attention de leurs parents. Ce rappel à l'ordre constant à propos de l'éducation parentale dans les années 50 est une des forces majeures du film. Je me demande quels sentiments le cinéma et les parents d'aujourd'hui inspireraient à Haynes dans une cinquantaine d'années