Trop de temps s’est écoulé depuis Le Silence Des Agneaux pour pouvoir prendre Hannibal au sérieux. Néanmoins, en dépit de certaines scènes gore à la limite du grotesque, le film devient entre les mains de Ridley Scott un festin visuel qu’il est difficile de ne pas admirer.
Depuis Manhunter et Le Silence Des Agneaux, Hannibal Lecter est devenu une vielle connaissance que l’on s'attendait à revoir avec impatience. Des films comme Seven, des séries télé comme Law & Order: Special Victims Unit ou plus simplement les actualités font que plus grand chose n’est maintenant laissé à l’imagination. Bien qu’assez répugnant, le film est donc loin d’être choquant ou effrayant. Le long métrage prend plutôt une tournure satirique inespérée.
Clarice Starling (Julianne Moore), plus agée, est devenue plus avisée. Après un malencontreux incident où la désobéissance de ses ordres conduit à une fusillade sanglante, elle voit sa réputation éclaboussée. Le corrompu Paul Kendall (Ray Liotta) du département de la Justice en profite pour la mettre à pied, laissant ainsi le champ libre au milliardaire Mason Verger (Gary Oldman) dans sa croisade contre le Dr. Lecter dont il fût la victime. L’homme a élaboré une vengeance sadique faisant appel à des sangliers (incidemment les figurants du choix du moment puisque tout comme dans Snatch leur rôle est de dévorer l’ennemi, mort ou vif).
Hannibal Lecter écoule des jours paisibles à Florence, en Italie où, apparemment, aucun mot d’italien n’est parlé. Personne ne semble non plus remarquer la présence du pourtant immanquable Hopkins habillé comme le personnage de Dirk Bogarde dans Mort à Venise de Visconti. Le Dr. est devenu historien et responsable de bibliothèque dans laquelle il donne des exposés plein de charme et d’intelligence. Fait amusant, Hannibal est bien plus sympathique que la plupart des personnages qui entourent Clarice. Ceci peut laisser penser que le thème du film est essentiellement la corruption. Kendall (Liotta) est un mélange repoussant d’arrogance et de stupidité. Il choque autant la sensibilité d’Hannibal que celle du spectateur. Si le FBI n’est pas montré sous une lumière favorable, la police italienne fait bien sûr preuve d’inefficacité. Rinaldo Pazzi (Giancarlo Giannini) est le policier qui repère Hannibal; il choisit d'encaisser la rançon de 3 millions de dollars au lieu d’appréhender le meurtrier. L’appât du gain n’affecte pas que la police. Même l’ancien garde de Lecter revend diverses reliques ayant appartenu au docteur lors de son séjour dans le donjon. De son livre de cuisine à son masque, tout semble pouvoir trouver acquéreur comme sur Ebay. La vengeance de Mason Verger est perverse et le fait qu’il s'offre les services de politiciens laisse un goût amer. Si les protagonistes sont probablement aussi fous qu’Hannibal, aucun n’est pourtant aussi captivant.
Le final très visuel fera beaucoup parler. L’ impromptue solidarité entre Clarice et Hannibal dans la troisième partie du film est intéressante mais préfabriquée. On remarquera aussi qu’aucune femme ne meurt dans le film et bien qu’il pense un moment à la femme de Pazzi, Lecter se décide pour de la chair masculine.
Le jeu des acteurs est inégal. Anthony Hopkins est glorieux dans la dépravation tandis que Julianne Moore campe avec force son rôle d'agent désillusionné mais intègre. Giancarlo Giannini a la tâche difficile d'attendre la mort sans toutefois en être trop affecté. Gary Oldman ressemble étrangement à un habitant de Whoville et sonne aussi comme le Grinch de Jim Carrey (en lui-même une mauvaise imitation de Sean Connery). Bien que le personnage de Ray Liotta restera gravé dans les mémoires, il n'a pas grand chose à faire hormis être grossier.
Quelques points de scénario méritent que l'on s'y attarde pour leur ridicule. Par exemple, avec l'arrivée en Virginie de la bande de tueurs italiens de Verger et ses sangliers voraces, on peut se demander si la douane américaine s'est soudainement évaporée dans la région de Washington. Comment arrivent-ils aussi à capturer Hannibal sous le nez de Clarice est un autre mystère.
Si le personnage principal est fou et dégénéré, la réalisation et la cinématographie sont elles d'une grande beauté. Nous sommes d'ailleurs chanceux qu'Hannibal ait décidé d'aller à Florence au lieu de ...Detroit. Les images de Scott de l'Italie et de la Virginie sont grandioses. Ombres, brouillard et couleurs bleuâtres accentuent la noirceur et le suspens du récit. Le cinéaste tourne le film à travers les yeux du docteur et nous fait partager ses goûts esthétiques. Il est cependant assez prudent de nous laisser reconsidérer le choix d'Hannibal comme guide lorsque l'on s'aperçoit à travers les yeux de Clarice de la monstruausité du personnage.
Un film imparfait qui se veut fascinant lorsqu'un personnage comme Hannibal est à l'écran.