A se donner d'emblée, cette limpide "histoire de violence" surprend dans une filmographie éprise d'opacité, où la dimension organique et technologique prime.
Qui est Tom Stall, un honnête citoyen, bon père de famille, intégré dans la communauté.
Propulsé héros national pour avoir liquidé un couple de dangereux psychopathes, l'homme se retrouve sous les feux des projecteurs. Sa notoriété attire dans la ville des loups de Philadelphie qui visiblement le prennent pour quelqu'un d'autre, un dénommé "Joey". De Tom, l'époux modèle, à Joey, le tueur chevronné et sanguinaire, il y a un écart, une zone floue où se tapit peut-être une crise identitaire.
Et de raccrocher avec les thématiques de prédilection du réalisateur canadien, lequel tient de bout en bout le fil de sa narration. On connaît la passion de l'auteur pour l'hybride : sa mise en scène, mélange détonnant de comique et de violence viscérale, mute à son tour, en intégrant des éléments hétérogènes.
La contamination trouve son corollaire dans la transmission. Quelque chose du héros est passé dans son fils, un mal atavique, qui fonde l'histoire des Etats-Unis. Du foyer américain mainstream, rattrapé par la violence, au mythe fondateur américain, une métonymie du mal originel est à l'œuvre dans A History of Violence.
La scène de sexe dans l'escalier, point d'orgue du film, actualise l'attirance pour le mal. Le héros possède brutalement son épouse. A la fois tentative de restaurer, via la chair, une conjugalité vacillante et expression, chez la femme, d'un penchant inavouable pour la monstruosité, le corps à corps se charge d'une densité et d'une ambivalence inouïes.
Sans crier gare, l'organique fait retour sous une forme nouvelle : c'est la violence dans laquelle s'origine un pays. A History of Violence est avant tout un grand film sur la famille, et non une réflexion didactique sur la violence. C'est encore et surtout l'histoire simple d'un type qui prend les armes pour défendre et protéger les siens.
Pour autant, Cronenberg ne verse pas dans l'insularité. Son regard singulier s'imprègne du monde, de sa substance inquiétante et délétère. La scène d'ouverture, remarquable de maîtrise, signe magistralement l'entrée dans le mal. Terriblement anxiogène, par un effet de quasi surplace, ce long plan séquence (une odyssée meurtrière en condensé) ouvre "au noir" un film qui se referme sur une béance.
Rien ne peut plus être comme avant pour cette famille qui a fait l'expérience du mal. Ce passage à un état autre, cette douloureuse mutation inscrit le film pleinement dans la filmographie de son auteur. A History of Violence ou l'histoire immémorielle d'une dévoration par le mal.