critique du film Ken Park DVD Ken ParkKen Park Critique du film






Ken Park













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Ken Park
Réalisé par Larry Clark

Avec : Tiffany Limos, James Ransone, Stephen Jasso, Maeve Quinlan
Scénario : Harmony Korine
Titre Original : Ken Park
Durée : 1:35
Pays : USA
Année : 2003
Site Officiel : Ken Park
Avant-dernier volet d'une tétralogie glaçante dédiée à la déshérence de la jeunesse américaine, le dérangeant Ken Park est la contribution sulfureuse du décrié Larry Clark à l'ébranlement d'une conscience nationale déjà morcelée.

Rien d'étonnant donc à ce que le film soit censuré dans de nombreux pays, dont précisément les Etats-Unis, au vu de la remise en cause douloureuse qu'il suscite inévitablement. Après avoir exploré l'univers des surfeurs (Bully), le cinéaste infiltre le monde des skaters d'une petite ville de Californie, Visalia, no man's land spirituel, suintant l'ennui. Corps en équilibre, menacés de chute, ces jeunes funambules évoluent sur une planche, liaison entre le sol et le ciel, entre-deux qui symbolise l'état transitoire de l'adolescence. Aussi, lorsque le père de l'un des héros broie rageusement le précieux skate, signe de reconnaissance et d'appartenance à une communauté, le ton est donné : Ken Park n'est rien de plus que le récit d'adolescents brisés par les turpitudes des adultes et qui trouvent, dans une sexualité débridée, une forme de rédemption et de résistance.

La fiction s'enclenche avec le suicide du personnage éponyme. Cet événement, aussi violent que fulgurant, va irradier un groupe d'adolescents, imprégner l'inconscient collectif. Soient Claude, Shawn, Tate et Peaches, teenagers en proie à la déréliction et au désoeuvrement, vrai sujet du film avec l'inceste.

Les adultes tentent d'investir une sphère — l'adolescence — qui leur est dorénavant interdite, en convoitant les corps juvéniles dont ils ont été naturellement dépossédés. Cette nostalgie, empreinte de perversité, les conduit à violer l'intimité de leur progéniture, au sens propre comme au figuré.

Qu'il soit symbolique ou explicite, l'inceste passe par la fétichisation d'objets ou de postures propres à l'adolescence. Le cinéma de Larry Clark est d'ailleurs très fétichiste : des caleçons de ses tout jeunes acteurs dans Kids, en passant par les socquettes blanches, ces motifs contribuent à rendre identifiable un monde adolescent, régi par des codes et des représentations intrinsèques.

Au registre de l'inceste symbolique, citons la mère de famille qui s'envoie en l'air avec le petit ami de sa fille et qui lui demande comment se comporte au lit la jouvencelle, manière de coucher avec elle par procuration. Clark stigmatise le puritanisme à travers la figure d'un père dévot, vivant dans le souvenir de sa défunte femme et qui finit par épouser sa propre fille, après l'avoir surprise en pleins ébats. Ce mariage contre-nature n'est pas sans évoquer Viridiana de Buñuel, déjà une dénonciation en flammes de la bigoterie et de la chasteté. En raison de sa ressemblance physique avec sa mère, Peaches se retrouve parée de sa robe de mariée, à l'instar de l'héroïne buñuelienne. Cette robe constitue un autre aspect de la fétichisation à l'œuvre dans le film. De même, le skate brisé est un aveu du désir furieux et frustré que voue un père alcoolique à son fils. Un soir de beuverie ordinaire, il finit par s'introduire dans sa chambre.

Si les adultes sont les dépositaires du mal, Larry Clark évite cependant un écueil de taille : le manichéisme. Le parcours du quatrième adolescent, Tate, vient brouiller les pistes et mettre à mal les schémas préétablis. Perturbé et solitaire, le jeune garçon exècre le bonheur mièvre et béat de ses grands-parents. Les intrusions répétées de sa grand-mère dans sa chambre relèvent là encore d'une violation symbolique de l'intimité juvénile. Cependant, la fétichisation se déplace du monde des adultes vers celui de l'adolescent. En témoigne une scène de masturbation très trash, sur fond de tennis féminin, où Tate s'étrangle avec la ceinture du peignoir de sa grand-mère. Baignant pourtant dans un cadre familial équilibré, Tate commet le plus abject des crimes. Par ennui.

L'horreur se déploie dans une sorte de banalité léthargique, renforcée par la remarquable photographie de Ed Lachman, co-réalisateur du film et déjà l'auteur inspiré de l'éclairage de Virgin Suicides.

D'ailleurs, au suicide des blondes héroïnes du film de Sofia Coppola répond celui de Ken Park. Acte extrême, généré par un puritanisme suffocant, le suicide entérine, pour qui le commet, le refus notamment du « principe de répétition ». « Après moi, le néant », conception d'autant plus dramatique dans Ken Park qu'elle s'avère illusoire : sa progéniture survivra à l'adolescent et grandira certainement à Visalia. La structure filmique épouse parfaitement cette idée de cycle tragiquement immuable, voire de vase clos. Le film s'ouvre et se referme avec le personnage de Ken, formant une boucle, un circuit fermé.

Mais c'est aussi à travers cette même figure du cercle que se libèrent les adolescents : la scène de triolisme (assurément l'une des plus belles scènes de sexe réalisée à ce jour) en atteste. Moment pur et tendre, confondant de naturel, il restaure les adolescents dans leur intégrité physique et morale, tout en mettant en perspective la crudité des séquences qui ont précédé, entachées par le désir des adultes. Que reste t-il à ces adolescents, à part leur corps pour en jouir ?

Tout comme le souvenir de Ken Park hante les protagonistes, la réalité obsédante de ces corps malmenés imprègne l'esprit du spectateur. En effet, Larry Clark a eu le souci de nous les rendre aimables et familiers, à l'instar de Gus Van Sant dans Elephant qui use, tout comme Clark, de cartons pour nous présenter ses héros (Ken Park et Elephant entretiennent de nombreuses correspondances, dont la faillite de la famille). Cette volonté d'identifier, avant leur anéantissement, des jeunes gens à l'avenir incertain, rend la démarche du cinéaste d'autant plus bouleversante et nécessaire. Larry Clark est, à ce jour, le portraitiste le plus juste d'une jeunesse sacrifiée.

  Sandrine Marques





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