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Laissez-Passer
Réalisé par Bertrand Tavernier

Avec : Jacques Gamblin, Denis Podalydès, Marie Gillain, Charlotte Kady
Durée : 2:50
Pays : France
Année : 2001
Web : Site Officiel
Silence on tourne

Bertrand Tavernier est amoureux fou du cinéma. De la France aussi et de cette fameuse exception culturelle dont il s'est fait l'un des porte parole. De l'histoire enfin qui nourrit souvent ses films. Ces trois amours forment le thème fédérateur du dernier. On retrouve cette volonté de rassembler explicitement exprimée dans la dédicace à « tous ceux qui ont vécu cette histoire » et dans ce « Laissez-passer », qui fait résonner le pire.

Mars 1942 : à l'image de Paris, le milieu du cinéma vit sous la botte nazie. Alfred Greven, électron libre de la UFA devenu patron de la Continental, contrôle la production française. Il aime le cinéma, particulièrement le cinéma français et souhaite faire travailler les meilleurs, quitte, parfois, à fermer les yeux sur un Juif ou un communiste qu'il sait irremplaçable. En ces temps de rationnement, où pellicule et électricité sont rares, la Continental est incontournable. Dangereuse aussi. Ceux qui y travaillent le savent : on peut y perdre sa liberté ou son âme.

Le scénariste Jean Aurenche se refuse obstinément à Greven. Pas de collaboration, même avec un petit « c ». Il a déjà assez à faire, trop de manuscrits à réécrire, trop de maîtresses auxquelles il faut mentir. Que faire de soi-même dans la vie lorsqu'on n'a que sa plume, un Soutine sous le bras et plus vraiment de chez soi ? Certainement pas se jeter dans la gueule du loup, même pour un pont d'or ou une livraison hebdomadaire en provenance du meilleur marché noir. Le choix est plus complexe pour Jean Devaivre. Lorsqu'on a une femme et un bébé et que l'on veut devenir réalisateur, on réfléchit avant de refuser. Quitte à ouvrir l'œil et, surtout, à ne jamais signer ce contrat qui scellerait aux yeux du monde un pacte avec le diable.

En croisant le destin de ces deux industrieux du cinéma, résistant chacun à leur manière, Tavernier a bâti une œuvre de réhabilitation en bonne et due forme. Au delà des liens personnels - Aurenche écrira L'Horloger de Saint Paul, Le Juge et l'Assassin et Coup de Torchon , Tavernier faisant connaître L'Auberge des Sept Pêchés et La Dame de Onze Heures de Devaivre - c'est d'une certaine époque et de son cinéma dont le réalisateur fait ici le portrait. Le masque de cire diront certains.

Car à trop vouloir embrasser une vérité peu glorieuse, Tavernier embarrasse. Prendre comme paradigme le nombril cinématographique parisien et en faire un instantané de la France des années 40 revenait à s'offrir en pâture aux journaleux de tout bord (profession qui, en zone occupée, ne fut pas la dernière à coller elle aussi son petit doigt sur la couture du pantalon).

On aimerait parler du film comme objet et sujet de cinéma. Evoquer le cadrage hésitant, les panoramiques brouillons de la première demi-heure. La lumière parfois somptueuse. On voudrait rendre hommage à la grâce pirouettante de Denis Podalydès lorsqu'il fulmine contre les valises et les bonnes femmes « qui font vraiment chier », à la densité de Jacques Gamblin pressé comme un sachet de thé par ses interlocuteurs britanniques. Et au talent de tous les autres. Comme tout va bien dans le sens du poil, qu'ils sont donc sympathiques ces Français. Et, très vite, c'est ce débat de fond qui s'impose sur l'impossible fiction de Bertrand Tavernier.

Avec son co-scénariste Jean Cosmos, ils ont voulu un grand film « à la française », une fresque où grands et petits rôles, à l'image de la Résistance, apporteraient chacun leur contribution. Et d'y aller à coup d'anecdotes et de petites histoires pour mieux raconter la grande.

Si le film montre bien que la production de l'époque était délibérément tournée vers le divertissement, terme à entendre dans son sens le plus trivial, il peine à éclairer la complexité des véritables enjeux.

Bien sûr, faire des films sur le « parquet ciré à la prussienne » et sous l'œil torve des « Fritz » est un exercice singulièrement glissant. Le propos du réalisateur ne l'est pas moins. Quelle est donc homogène et unie cette grande famille du cinéma français ! On a beau s'engueuler sur la politique « on veut tous qu'ils s'en aillent. » Et la meilleure façon de résister et d'aimer le cinéma, c'est d'en faire, malgré l'affreux Bauermeister et ses menaces : « fous avez vingt vuite jours pour finir le film. » On conçoit assez vite pourquoi Devaivre se rend indispensable : il fait du bon boulot, à l'allemande, sans se plaindre. Les autres aussi. Mais derrière cette obsession de tourner, si chère à Tavernier, se devine sinon « tourner sa veste » ou « tourner la page », une certaine France du renoncement qui ne veut toujours pas dire son nom, surtout à l'écran.

Une illusion en somme, une bulle de carton pâte, où le rutabaga remplace le pain et la viande, où des scénaristes crevant de faim couchent malicieusement sur le papier des scènes d'orgie gastronomique, où quelques pauvres filles défont leur bas pour un rôle de troisième classe. On voit bien Michel Simon refuser sur le tournage du Bonheur de Dames, qu'essaye de réaliser le tout jeune André Cayatte, de jouer la grande scène de Baudu contre Mouret devant la « garde chiourme ». Mais lorsqu'un technicien fait remarquer qu'il ne manque pas « de couilles », un camarade observe que les couilles en question ont l'avantage d'être « suisses » et non « gauloises », c'est à dire neutres.

Si encore, la morale du film se résumait à cet aveu un peu honteux de la peur au ventre. Mais de l'opposition précoce d'une infime poignée, celle d'un Le Chanois, communiste et juif, signant en 43 le scénario de La Main du Diable réalisé pour la Continental par Maurice Tourneur, celle d'un Devaivre, d'un Spaak, d'un Paul Bost, celle d'un Harry Baur, Tavernier veut faire celle de trop de Français. Rien sur le voyage forcé ou volontaire des acteurs français à Berlin en mars 1942. Rien sur la délation, à part une élogieuse allusion au Corbeau de Clouzot. Rien, sinon ces demi lapins et ces livres de beurre qu'on s'échange sous le manteau ou encore ce pâté de dattes, « très sucré et pas très bon ». A croire que le dilemme des Français se résumait définitivement à la bouffe.

Pourquoi le sort des techniciens et artistes juifs est-il si minoré ? Pourquoi en fait de résistant, Tavernier sort-il de son chapeau un fonctionnaire de Vichy ? Pourquoi cette unique référence cycliste au Vel d'Hiv, pourtant déjà sinistrement célèbre en hiver 1942-43 ?

Il n'est pas question de faire à Bertrand Tavernier un procès d'intention. C'est un pêché d'excès d'amour qui s'obstine à faire de l'exception la ligne de conduite d'une France imaginaire. C'est aussi l'éloge du cinéma que la Nouvelle Vague a pourfendu et qu'incarne si bien Aurenche, scénariste des meilleurs Autant Lara, Carné, Delannoy, Clément, Allégret, chacun en bonne place sur la liste noire des Cahiers du cinéma.

« Il n'y a rien de plus beau que les histoires vraies », lit-on en accroche sous le titre. C'est sans doute ce précepte cache sexe, cette autojustification maladroite qui fait de Laissez-Passer un film impossible, comme l'était La Liste de Schindler. C'était faire mauvais usage de ce droit d'inventaire dont chacun se réclame aujourd'hui lorsqu'il s'agit de faire le ménage chez soi.

D'ailleurs quoi de plus révélateur que la douloureuse polémique entre Tavernier et Devaivre pour illustrer que ce vrai, brandi comme un oriflamme, a bien plusieurs facettes et n'est pas toujours représentatif. On attendait autre chose que ce « silence, on tourne », comme on attend encore un grand film français sur l'Occupation, un grand film français sur la guerre d'Algérie qui viendraient prouver enfin que l'exception culturelle française ce n'est pas seulement l'autocensure.

  Corinne Le Dour-Zana


     La Princesse de Montpensier




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