Avec : Olga Kurylenko, Marc Barbé, Stipe Erceg
Scénario : Diane Bertrand
Durée : 1:40
Pays : France
Année : 2005
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Les romans courts de Yoko Ogawa sont des exercices funambulesques, des bréviaires trépanés décortiquant lentement la mécanique de l'abandon. L'Annulaire, qui conte avec une stupéfiante tranquillité le cheminement de la narratrice vers la " chosification ", en est le parangon. Suite à la perte d'une infime partie de son doigt au sein de l'usine de limonade qui l'employait, une jeune femme trouve refuge en tant que réceptionniste d'un étrange laboratoire installé dans un ancien foyer de jeunes filles déserté et dont le but est la naturalisation de spécimens incongrus (cicatrice, ossement animal, musique composée par un amant…). Ses relations avec le propriétaire des lieux vont bientôt prendre un tour singulier.
Adapter une telle oeuvre relevait du challenge tant les solutions pour capter l'opalescence de la disjonction ou en irradier l'absence étaient délicates à établir. Un défi excitant copieusement raté par Diane Bertrand. D'un point de vue purement structurel déjà par sa volonté inflexible de donner chairs à toute chose (corps, pensionnat, murmures ou volutes narratives). Résultat, chaque instant est dépossédé de la potentialité ruisselante que revêtait le mystère du non-dit. Au lieu de cela un rythme heurté où l'on nous assène à dose homéopathique des visions fantastiques : un enfant écho du passé ou des attitudes spectrales ampoulées. Le bâtiment est trop propret, trop maîtrisé et trop bien cadré pour inspirer le moindre malaise, - ses entrailles meubles sont anesthésiées par la mosaïque qui les recouvre - et la cinéaste démunie de l'opposer constamment à l'hôtel et à la zone portuaire pour en souligner le flottement. Subterfuge analogue, l'artifice du marin initie une saillie bien indigente de la réalité dans l'onirisme du monde diurne.
Cette propension induit un jeu incessant sur les couleurs assoupies et la joliesse ronde des formes - en particulier la plastique de l'actrice principale. S'y love un détraquement latent stigmatisant le glissement de la vision féminine dépassionnée du roman vers une dimension masculine (l'héroïne récupère un nom, Iris, tandis que le directeur de l'institution perd le sien) plutôt assommante dont la réalisatrice souligne avec force conviction l'aspect érectile. La sueur et les étreintes n'ont plus rien de cliniques ou d'hermétiques et loin d'emporter Iris vers l'effritement elles induisent un coupable resserrement sur la raideur d'un phrasé ou d'une posture. Pour preuve la période fulgurante sur laquelle se déroule l'intrigue : trois semaines. Un socle de plomb qui enchâsse ce chapelet indolent de fantasmes qui se complaît dans un érotisme ennuyeux parce que purement esthétique. Exactement là où l'on aurait aimé se dissoudre dans une empathie sensuelle et érogène. Peut-être la différence majeure avec le mirifique 2046 où les chevilles et les escarpins de la déconnectée Faye Wong continuent encore d'hanter notre imaginaire.
On se prend à penser à mi-parcours ce qu'aurait donné un tel sujet dans d'autres mains. Sûrement le creux palpitant du récit, la salle de bain corticale, aurait-il été le centre d'attention afin de soutenir l'appel obsédant de l'abîme formolé. De repos tiédi aucune trace dans la vision de Diane Bertrand, le laboratoire est un havre de lumière, l'orgasme parfait par excellence : les amarres se brisent brutalement sans nous faire ressentir la fragilité anxiogène de l'équilibre mental de l'héroïne. Le récit tourne court et nous quittons la salle en état de frustration, dépouillés de la liberté d'échafauder l'intrigue diaphane que l'espace filmique nous refuse.