La vie aquatique
Réalisé par Wes Anderson
Avec : Bill Murray, Owen Wilson, Cate Blanchett, Anjelica Huston
Scénario : Wes Anderson, Noah Baumbach
Titre Original : The Life aquatic with Steve Zissou
Durée : 1:58
Pays : USA
Année : 2004
Site Officiel : La vie aquatique
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Il existe, au fond, assez peu de cinéastes américains qui parlent d'autre chose que de l'Amérique. C'est la beauté de ce cinéma-là : toujours dire d'où l'on parle, inscrire chaque fois une forme donnée dans un territoire. Et après tout, parler de l'Amérique (qui a des tas de choses à dire), c'est encore ce que les américains font le mieux. Reste que l'autre (nous), n'y a pas souvent sa place. Voici pourtant un film qui ne s'inscrivant dans aucun territoire, cherche à les englober tous, un film qui de l'autre fait sa conquête et ses personnages. Un film qui ne prend pas la peine de nous dire d'où il parle, en cela un peu malpoli, comme s'il s'invitait en douce devant nos yeux. De l'Amérique, La vie aquatique dit peu de choses, de nous, nettement plus. Rendez-vous compte, il est rare, surtout par ces temps d'autarcie renouvelée à l'endroit du grand Autre, qu'un cinéaste américain (il s'appelle Wes Anderson : retenez ce nom si ce n'est déjà fait), par le truchement d'un drôle de film (plus et mieux qu'un film drôle), nous demande : " comment ça va ? "…
Sans territoire précis donc, et toujours entre deux : entre deux eaux, deux rivages, entre surface et profondeur, entre deux personnages, La vie aquatique avance à mesure qu'il se fait, depuis la régie flottante que constitue son point d'ancrage : le Belafonte, vaste navire aux allures de home, sweet home, dirigée par Steve Zissou, commandant Cousteau US incarné avec un flegme étrange et mélancolique par le génial Bill Murray. Lequel veut venger la mort de son meilleur ami dévoré par un " requin-jaguar ". A la recherche de son " Moby Dick " peut-être inventé, l'équipage du Belafonte n'est constitué que de personnages a priori aussi éloignés que possible les uns des autres. De quoi accueillir en son sein n'importe quel étranger à l'affaire, à commencer par nous : de la même manière que Zissou y intègre un jeune pilote de ligne n'ayant jamais été en mer (Owen Wilson), et qui lui dit être son fils. Ce que fait le film : adopter son spectateur, sans souci de filiation directe, sans père à proprement parler.
Du secret qui entoure la paternité, réelle ou non, de Steve Zissou, Anderson ne révèlera rien. C'est qu'ici, il faut être aimé, cela suffit. Démocratie flottante et désemparée, voilà ce que La vie aquatique nous dit (un peu) de l'Amérique. Pour le reste, le film ne cherche pas autre chose que du réconfort à notre endroit ; de l'amour, il en a plein à donner. Du fantasme aussi, incarné par cette mer irréelle qui borde comme dans leur premier lit les enfants que nous devenons, ainsi que chaque membre de l'équipage désireux de trouver dans la " team Zissou " une famille de substitution. Sinon un père, évidemment. Mais ce n'est pas si simple : Zissou lui-même apparaît tantôt comme ce père recherché par tous, comiquement tyrannique, tantôt comme l'enfant qu'il n'a jamais cessé d'être. Il s'agit pour lui comme pour nous, en pays de cinéma (La vie aquatique n'est que cela, un cinéma flottant, un cinéma des familles), de voir le monde s'accorder à ses désirs. Chacun doit avoir la liberté de pouvoir se faire " son cinéma ", justement ; un espace suffisant pour laisser libre cours à ses caprices, sans gêner les autres. D'où que le Belafonte se révèle un territoire tout de même, mais paradoxalement extensible à l'infini, à la mesure des rêves mis en commun. On entendrait presque les personnages dire, avant de faire quoi que ce soit : " on dirait que "… (" tu serais mon père, on chasserait un requin mythologique, je serai moi aussi le chef, etc.) A ce " on dirait que… ", le film se doit de répondre favorablement, sans quoi il ne serait plus ce qu'il est : une machine qui carbure au désir. Et dont le désir secret est d'être aimé, coûte que coûte, avec l'honnêteté de montrer ses défaut, ses maladresses. Pour (nous) aimer à son tour, en toute bonne fois.
C'est le sens profond du comique de Bill Murray, séducteur sans y être : une transparence, une velléité d'être, et une manière de dire tout ce qui lui passe par la tête comme le cœur. Chez lui, rien ne vient faire barrage, ni son amour propre pourtant revendiqué, ni la timidité à laquelle sa retenue ferait croire. Et comme lui, La vie aquatique veut bien se donner tout entier, nous faire assez d'espace pour rêver un peu, sans oublier la " vie " qui préside à son titre et suppose son lot de pertes. A force de ne ressembler à rien, un film qui finirait bien par nous ressembler…
Sébastien Bénédict
The Royal Tenenbaums
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