critique de Les Filles Du Botaniste
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Le dernier succès de Daï Sijie en tant que cinéaste - ses romans bénéficiant d'un lectorat plus assidu -, Balzac Et La Petite Tailleuse Chinoise, n'incitait pas nécessairement à l'enthousiasme avant ces Filles Du Botaniste. A l'arrivée le long métrage laisse une impression mitigée et opaque. Outre une musique assourdissante et prétendument lyrique qui achève, pachydermique, le moindre soubresaut flapi de mise en scène, c'est surtout la profonde dualité de ce mélodrame qui divise l'auditoire. Deux courants antagonistes se côtoient ainsi entre latéralité des travellings (apparition de l'institution, lecture de la lettre posthume de Min) et description empesée marquée par l'engeance de l'écrit - rien de surprenant à voir l'homme de lettres désynchroniser la voix (savoir et narrateur omniscient ?) de l'image lors des premiers échanges entre l'élève et son futur professeur. Structurellement cette dynamique appose les contingences d'un timide plaidoyer en faveur des libertés dans la Chine des années 80 - symboles patauds (pluie lacrymale, temple et onanisme spirituel, plante-sexe carnivore, pénis-racine enterré) et flous ostentatoires - avec un décorum caillé par une carence de singularité figurative. L'éruption de l'extatique et occidentale Mylène Jampanoï rappelle le subterfuge utilisé dans L'Annulaire pour traverser et désincarner la torpeur glacée du désir asiatique. Et que dire de l'appesantissement sur les rites quotidiens, sur les paysages opulents du Vietnam - le film ne reçut pas l'aval des autorités pour être tourné en Chine - ou sur ce jardin à la splendeur plastique somptueuse si ce n'est qu'il aliène hermétiquement, à la manière d'À La Verticale De L'Été, le contenu à la forme grandiloquente. Nous nageons ici en eaux balisées tandis qu'un certain académisme pointe benoîtement entre motifs ressassés de clandestinité ou joutes codifiées avec un environnement lourd de sens (Jour Et Nuit affleure notamment). D'où les contradictions profondes dans lesquelles se débattent, par extension, les protagonistes. Car Daï Sijie les envisagent entre l'organique - importance avérée du tactile avec An pétrissant la résine ou Min s'extirpant des limons de la rivière - et les arabesques de l'âme - les délices féminins s'élevant en volutes de vapeur chargées de fragrances signifiantes. Mais exilés aux confins de cet exotisme de pacotille, ils peinent à faire fusionner essences et enveloppes. Et les voici procrastinés dans un théâtre déglingué et coupé du monde - iconicité brumeuse du sanctuaire surexploitée récemment par Kim Ki-Duk -, incapables d'apprivoiser une quelconque altérité ou de gérer les dissensions iniques de leurs couples. Le trépas s'impose, impavide, avant même les négligences ou vitupérations du dernier quart d'heure. Car au sein de ce microcosme irrespirable et vénéneux les corps paient un étrange tribut aux plantes avoisinantes. Pour accaparer le rôle de contrapuntistes de leur petit lopin de terre - rabrouer le père intolérant ou enfermer le mari dans un stéréotype de brute épaisse - les deux jeunes femmes acceptent d'être ponctionnées de leur humanité pour se transmuer en végétaux - double assujettissement souligné par la déférence filiale et l'addiction à l'éden permissif des ébats. La seule incursion en territoire externe, le voyage de noces, devient apologue violent d'un érotisme partagé et non subi, prélude des transgressions charnelles à venir comme celle qui scelle leur destin : faire l'amour en uniforme miliaire. Finalement, ce qui séduit le spectateur demeure cette sensation anxiogène de l'absence d'échappatoire, similaire à celle qui accable les images prisonnières d'un horizon visuel absolu et pétrifiant.
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