Magnolia
Réalisé par P.T. Anderson
Avec : Julianne Moore, Tom Cruise, John C. Reilly, Philip Seymour Hoffman
Durée : 3:08
Pays : USA
Année : 1999
Web : Site Officiel
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Le destin croisé de 9 personnages tristes pour des raisons propres à chacun,
tâtonnant pour chercher un sens à leur vie et une rédemption, voilà ce que
P.T. Anderson tente de mettre en scène dans Magnolia. De la jeune femme
camée au producteur friqué d'émissions de télévisions à l'agonie, une large
palette de caractères est déployée pour nous offrir un florilège de
personnalités.
La gigantesque ambition du film nous oblige à pardonner certaines
redondances. Une scénographie exemplaire, appuyée par une ambiance sonore
flottante, mais renforcée lorsque cela est nécessaire, permet de déplier
devant nos yeux un échantillon de ce que peut produire une société moderne.
Ainsi le film se doit d'assumer une portée quasi métaphysique, et doit
par-là même esquiver de tomber dans le piège d'un pessimisme exacerbé ou de
la « nunucherie tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».
Le fait que le scénario permette à Magnolia de naviguer dans le juste
milieu, donne à ce film les moyens de lancer la machine. Une mise en scène
de personnages aux vies déstructurées, rongés par la solitude, dans des
situations extrêmes, peut donc débuter, et mettre à nu certains aspects de
la vie humaine, en particulier relationnel.
Hymne à la vie ? Réduire Magnolia à cela ne serait pas lui rendre hommage.
Tout commence par un laïus sur la place du hasard, des coïncidences non
négligeables dans le déroulement du quotidien, nous rappelant ainsi que de
manipulateur (de notre vie) que nous sommes, nous passons très vite à celui
de pantins désarticulés subissant des conséquences extérieures et non
maîtrisables. C'est à partir de ce fort déterminisme que la mise en scène
des tribulations des personnages se fondent, ce qui se traduira par leurs
tentatives de s'en dégager au maximum.
P.T. Anderson choisit la diversité en alternative à un développement plus
élaboré d'un sujet isolé. Il prend donc un risque supérieur : celui
d'échouer l'insertion de " micro " histoires, dans la macro que constitue
les 3 heures du film. Le réalisateur exploite un genre en vogue depuis
quelques années, celui du film " choral ", à qui il donne son aboutissement
avec Magnolia.
Les liens purement accessoires, présents à titre anecdotique, entre les
différentes fractions du scénario, empêchent un recoupage systématique des
événements, les uns avec les autres, survenants aux personnages. Chacune des
" portions " se suffit à elle-même et fournie sa propre dose d'émotions. Il
en ressort ce que beaucoup ont reproché au film : un discours moralisateur
sur les bords. Le nombre, et ce malgré la durée, de destins à parcourir
impose un survole relatif de chacun d'entre eux, entraînant une certaine
univocité, et par la même la transmission de messages déjà entendus.
Seulement, considérer la construction démiurgique de Magnolia de cette
façon, serait faire la fine bouche face à un film qui offre des scènes
tellement riches, certaines métaphores tellement singulières, et surtout une
mise en scène d'acteurs transcendant leur rôle.
En effet, ce compactage offre une densité agréable au film, qui lui donne sa
fluidité et compense un ton parfois trop léger. L'air moralisateur et
consensuel de ce métrage provient du fait qu'il traite explicitement des
thèmes simples comme l'amour, l'infidélité, l'ennui, le sexe, mais en
ajoutant une autre dimension à celle visible habituellement, nous donnant la
possibilité de les aborder avec un autre regard. N'est ce pas là le but
premier d'une œuvre ? Le spectateur regarde un couple se former, pendant
qu'un autre se dénoue à travers la vision de P.T. Anderson, avec sa
conception propre des choses. Cela passe par une manière subtile de
détourner une rencontre classique en démonstration des multiples influences
et confrontations qu'impose la genèse d'une relation entre deux personnes.
Une œuvre aussi marquée par un auteur tel que celui ci ne peut être
consensuel et se limiter à déverser des idées populaires. Des réflexions sur
le temps, et son côté pesant, sur l'amour, avec les mensonges, les conflits
fondateurs et destructeurs qu'il suppose, sont présents dans Magnolia (pour
ne citer qu'elles), lui conférant son originalité et sa portée
philosophique. L'hystérie du personnage de Julianne Moore illustre celle du
scénario qui, sur la fin, surprend et déconcerte. Peu à peu le récit se
décompose, donne l'impression de n'être plus maîtrisé et de sombrer dans un
mélodrame classique. Seulement, le point culminant de ces dérapages se
trouve dans la pluie de grenouilles mortes, délire visuel et narratif,
metaphorisant superbement le caractère incertain de la vie, et permet à
Anderson de prendre le spectateur à revers.
Confronté à des scènes du calibre et de la virtuosité de celle citée
ci-dessus, on ne peut qu'oublier les quelques lourdeurs du film. Une
certaine idée du déterminisme se trame dans chaque scène du film,
cristallisée par la phrase : " vous en avez peut être fini avec le passé,
mais le passé n'en a pas finit avec vous ", et permet, entre autre, à Tom
Cruise d'offrir quelques unes des ses plus belles scènes. Ne serait ce que
pour observer cet acteur dénigré le rôle du macho-séducteur qu'il a pourtant
longuement interprété (Top Gun, par exemple), Magnolia mérite d'être vu.
Mais au-delà des performances de comédie de la distribution, ce film
démontre la capacité de P.T. Anderson à fournir un film chargé en contenu,
en sens, à la mise en scène aboutie, servie par une bande sonore efficace, à
un moment où le cinéma américain est pourtant souvent décrié pour le néant
intellectuel et le sens creux qu'il présuppose.
François Quil
Punch-drunk love
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